Conseil Gris

Invité

Enjambant à son tour le marin toujours étendu sur le sol, Esigûr suivi le samouraï tandis qu'il le menait vers l'extérieur, saluant, comme celui-ci, d'un signe de tête, les membres de l'équipage attirés vers les entrailles du bateau par les odeurs alléchantes en provenant. Ressortant à l'air libre, il s'arrêta quelques instants pour inspirer l'air marin. Ces odeurs lui avaient toujours plu, sans qu'il sache pourquoi. Et malgré les heures passées sur le ponton à le respirer, après les odeurs de la cuisine, il était heureux de le sentir à nouveau. Même si les odeurs de la cuisine était tout aussi agréable, et plus encore pour son ventre vide. Pourquoi aimait-il tant l'océan? Le Dragon était pourtant un être de la terre. Peut-être tout homme ayant navigué et surtout connu une de ses colères apprenait-il à l'aimer. Enfin, cela ne l'avait pas empêché de vivre quinze ans loin de la mer. S'il se sentait bien sur un navire, il pouvait s'en passer, ce qui n'était pas le cas de nombreux marins. Mais bon, tout ça n'était pas vraiment important. Ryûseï voulait discuter, et cela semblait important. Il s'assit en face du samouraï et attendit que celui-ci revienne et lui souhaite un bon appétit d'une façon assez singulière, et pour tout dire, plutôt inquiétante.

-Je vous remercie et je vous souhaite à vous aussi d'apprécier cette nourriture.
La tension qu'il sentait chez l'Hù-Béïen, peut-être due à la gravité de ce qu'il venait de dire, l'empêcha de continuer. Il avait pourtant de quoi se réjouir d'un tel repas. Il commença par porter le bol de soupe à ses lèvres et en bus une partie. Ryûseï ne lui avait pas menti. C'était un véritable délice. Après toutes ces années à manger des racines et quelques légumes, au mieux bouillis, et de la viande rôtie, le liquide brûlant lui coulant dans la gorge était un vrai plaisir. Il entama alors le pain et le lard et après quelques bouchées, sa faim calmée, il reporta son attention sur son compagnon, voyant que celui-ci s'était également arrêté de manger. Il l'écouta lui parler de son maître, il voulait donc savoir s'il avait bien agi, en l'envoyant sur le Ming-Chè? Ou bien se demandait-il s'il aurait dû laisser l'anneau?

-Le Ming-Chè... Peu de Buggïns ont la chance d'être envoyé sur ses eaux de nos jours. Quand les Buggïns vivaient en Hù-Béï, ils livraient les corps des défunts à ce fleuve. Mais dans nos montagnes en Déméria, nous avons pour habitude de les rendre à la terre. Au final, qu'elle importance, le corps est rendu à la Terre qui l'a crée et nourrie. Que ce soit dans les profondeurs de ses océans ou sur les continents n'est qu'un détail. Quant à cet anneau, si vous le portez en souvenir de votre maître, cela est tout à votre honneur. Tout ce que nous pouvons faire de plus est espérer qu'il ait trouvé la paix.

Il avait peu être un peu exagéré sur la chance d'être envoyé sur le Ming-Chè. Peu de Buggïns y auraient vraiment accordé de l'importance. Et lui préfèrerait être enterré et rejoindre la demeure du Dragon qui le guidait depuis son enfance. Son but était avant tout de calmer l'angoisse presque palpable du samouraï, qui semblait très inquiet à l'idée d'avoir offensé l'esprit de son maître. Ou du moins à celle de ne pas l'avoir honoré comme il le fallait. Après quelques instants, il reprit.

-J'espère avoir apaisé vos craintes concernant l'honneur que vous avez rendu à votre maître. D'après ce que vous m'en avez dit, on ne peut faire mieux.

Il avait lui aussi une question à poser à Ryûseï. Il y avait penser plusieurs fois pendant les heures passée sur le ponton. Et il semblait informé. Peut-être le navire venait-il de là-bas? Il tourna la tête pour regarder la mer en direction du nord-ouest, inquiet de ce qu'il pouvait se passer là-bas. Quelques secondes plus tard, se retournant vers le samouraï et prit de nouveau la parole.

-Vous savez que je viens tout juste de revenir à la civilisation, et que je ne connaît pas grand chose de la situation actuelle. Vous semblez savoir ce qu'il s'est passé à Déméria. Pourquoi avez-vous parlé de chaos? Et qu'est-il arrivé à Fentaeris?

Sa question était un peu abrupte, mais il était réellement inquiet à propos de son pays d'origine, et surtout, il ne comprenait pas pourquoi le Dragon aurait pu laisser cette cité sombrer dans le chaos.

Alors que jusqu'à présent j'avais été habité par une angoisse profonde et insondable, les paroles de Esigûr me donnèrent l'impression de n'avoir en moins plus qu'un vide absolu. Pendant juste quelques secondes, cela me parût être une vie de vide. J'avais la sensation d'être assis en tailleur dans un lieu parfaitement blanc et vide de toute forme de relief, naturel ou non. Quel pouvait être ce lieu ? Pourquoi y étais-je ? Je me sentais incapable de bouger, figé dans un silence contemplatif. Puis je cessais de m'interroger sur le lieu. Sur ce qu'il était, sur la raison de ma présence ici. Je baissais les yeux sur mes avants-bras couverts de bandages. Comme si mon regard était habité de magie, les bandages commencèrent à se défaire d'eux-même, tombant à plat sur le sol qui ressemblait très exactement au ciel. Puis, je regardais les bandages. Les deux loups étaient endormis et pourtant, je ne ressentis aucun étonnement. Aussi, à leurs images, je fermais les yeux, essayant de retrouver les loups dans la méditation.

Pas un chant, pas un croc. Le néant.

Un sourire apparût sur mon visage et j'ouvris les yeux. Je retrouvais Esigûr entrain de me parler. Et l'espace d'un instant, je ne compris pas tout à fait, ce qui c'était passé, ce que m'avait dit Esigûr après "on ne peut faire mieux". Posant le regard sur l'anneau toujours dans ma main, j'eus la sensation que le métal s'allégeait soudainement. Comme si il avait été fait de plomb et que à présent il n'était que du bois. Je reposais l'anneau sur mon oreille puis baisse le regard sur mes bandages. Le chi afflue dans mon bras droit et sous le tissus de lin, une lueur azurée dessine les contours d'une créature que je connais déjà. Je Le loup n'était plus la créature agressive que j'avais pu voir par le passé. Son regard était toujours habité par la sauvagerie, par la mélancolie. Mais ses crocs restaient sous ses babines, comme si quelque chose l'avait apaisé.

Je lève le regard sur Esigûr. Je ne souris pas. Je ne me sens pas heureux ni en paix mais une partie de mes maux venaient de s'envoler. J'avais la sensation que les paroles du Buggïns avaient frappés un grand coup dans la malédiction de l'Ombre. J'ignorais que c'était de ma culpabilité dont je parlais ainsi. Oui, un poids s'était ôté de mon âme. Il en restait encore un. Trop grand pour moi. Trop grand. Mais ma charge avait été allégée et je continuerai ma route car il y avait encore bien des pardons que je devais rechercher afin de détruire définitivement la malédiction qui obscurcissait mon corps, mon cœur et mon âme et enfin retrouvé mon honneur. Alors je pourrais refonder le clan Okurayami. L'avenir s'ouvrait devant moi, me révélant un chemin sombre au bout duquel une chandelle représentait une lueur d'espoir. Il me fallait donc affronter les ténèbres par mes propres ténèbres pour trouver la lumière qui me purifierait.

Je levais le regard vers Esigûr et après un court silence où mes yeux d'ébènes plongèrent dans les siens, je déclarais.

- Merci.

Une voix qui couvrait à peine les bruits d'une conversation voisine et celui des vagues. Puis, je commençais un récit des évènements Démérien.

- Le roi de Déméria est mort. Les Pjeyhs, une famille noble associées à de ténébreuses magies ont prit le pouvoir et tiennent le pays. Un groupe de résistants lutte mais ils sont trop peu nombreux pour espérer vaincre. J'ignore ce qui s'y est passé depuis mon départ mais j'ose espérer que les choses se sont améliorées malgré que mon cœur n'y croit pas.

Et alors que je parlais, les nuages s'écartèrent et la lumière de Delvïss tomba sur le pont, la baignant telle un phare dans la nuit.

La sphère d'argent attire mon regard. Pourquoi se brillance n'a elle pas décrut depuis la visite de son messager ? Ce n'est que quand elle pose un terne rayon sur un navire que je comprends qu'elle me montre le chemin. Sans doute m'aurait elle guidé depuis le début si j'avais su la croire, mais je ne comprends toujours pas pourquoi elle trace une route pour moi. Qu'elle importance puis-je avoir sous son œil, moi qui ne suis que le reste d'une créature céleste maudite ? J'hésite. Me mène t-elle vraiment au loup ou n'est que mon imagination et les reflets de la mer ? Quelle importance au fond... Sans elle, j'ignore comment je pourrais atteindre mon but, et elle est si brillante, si belle, si lumineuse, que mes jambes m'entrainent vers le allo d'argent avant même que je ne m'y décide. Cette nuit, Delvïss exerce sur moi la même attraction que le feu, je le crains. Vais-je me brûler les ailes en suivant son murmure ? Mes pas deviennent léger et je m'envole avant qu'un passant puisse m'apercevoir, ailes noires déployées, au milieu du port.

Je m'envole vers elle puis suis en planant sa route de lumière. Silencieuse, haut dans le ciel, je tourne doucement autour du navire. Mais la bête ne veut pas descendre, elle sent le danger... Un battement d'aile et je m'éloigne pour la calmer. Effleurant les vagues, je prends doucement la fleur de sang et hume son enivrant parfum pour me calmer. Elle est tout ce qu'il reste de ma dernière victime même si un elfe me l'a offert. Je sais que je dois avancer, retourner à l'Origine. Je puise dans mes remords la force de combattre la bête, et dans la fleur sombre sous le regard de Delvïss, un espoir. J'ignore pourquoi je dois trouver le loup, mais il est celui qui salut l'astre d'argent de ses hurlement, celui qui de tous temps à suivit l'Origine. Il me faut juste me convaincre moi même que ce n'est pas une nouvelle mort qui m'attends là bas. L'instinct cri le danger. Je saute de vague en vague, danse pour remonter le temps, pour redevenir celle que j'étais. Enfin, bercée par mes pas, la bête s'endort et, calme, je m'approche.

Il n'y a rien à craindre... Je dois en être certaine ou je ne commettrais pas cette folie. Le navire tangue doucement près du rivage, comme une bête sauvage endormit. Mais je sais qu'il n'est pas vide, je sais que des hommes le gardent et qu'on ne me laissera pas approcher si on me voit. Où est celui que je dois trouver ? Où est le loup ? Une lointaine forme noire s'illumine à mes yeux, tout près du bastingage. Toujours au dessus des flots, je m'approche doucement, silencieuse, prudente, effrayée. Un jeune homme passe au loin et entre seul dans une ruelle, mais ce n'est pas lui que je dois observer ! A nouveau, je serre la rose dans ma main. Je veux trouver le loup, pas tuer. Delvîss a fait trop d'efforts pour moi pour que je flanche si stupidement. La chasse attendra, je n'ai pas faim. Où plutôt si, bien sûre, mais cette nourriture me répugne au plus haut point. Le sang, chaud, rouge, luisant... Je ferme les yeux quelques instants, laissant les vagues lécher mes pieds nus. Enfin, je suis prête et je m'avance doucement.

L'homme auréolé d'argent n'est pas seule, un autre attend à ses cotés. Delvïss a t-elle prévenu le loup de ma visite ou lui et son compagnon vont il chercher ma mort ? Je ne sais pas, mais j'adresse une prière silencieuse à Delvïss, ailes battant lentement à une dizaine de mètres du navire. Ils parlent mais je n'entends pas. Les vagues grognent, refusant ma présence sur leur crêtes écumeuses. Puis leur grondement sourd devient un chant et j'adresse un timide sourire à ma ronde compagne blanche. Un lent battement d'aile, et je suis à portée de voix. De tire, aussi, et la bête en moi est bien éveillée, prête à plonger dans la mer au moindre avertissement. Mais je l'ignore car je l'ai vaincu en m'approchant et que la fleur de sang m'accompagne toujours. Elle ne peut plus rien contre moi.

- La lune vous désigne comme le loup bercé de souffrances... Son musicien m'a demandé de vous trouver.

Ma voix n'est qu'un murmure hésitant surplombant à peine le mugissement des vagues, et je retiens mon souffle, attendant de voir vers quel désastre m'a mené Delvïss. Comment ai-je pu la suivre ? Mais il est trop tard car mes paroles son bien suffisantes pour qu'ils ne me repaire et tourner le dos maintenant serait synonyme de mort. Mais je ne dois pas sembler fière, seule au dessus des eaux. Mes longs cheveux blancs flottent dans le vent, suivant mes doux battements d'ailes aussi sombres que la nuit. Mes lèvres restent closes mais mon regard sanglant en dit assez sur ma nature. Avant même qu'il ne me juge, je me hais déjà et baisse les yeux, ne supportant plus de croiser un quelconque regard. Je me force à ne pas trop serrer la fleur pour ne pas l'abimer mais il m'est si difficile de ne pas m'y cramponner. J'ai peur de leur jugement bien plus que de leurs armes même si la bête, elle, ne se laissera pas tuer.

- Pardonnez moi, loup d'Origine. Je ne fais que suivre le chemin de Delvïss...

J'attends, mais sans espérer le moindre pardon. Ma trahison est bien réelle et je ne chercherai pas à m'en détacher. Ce que je suis devenu, je l'ai accepter de plein grès avant de comprendre quel chemin j'avais emprunter, et la malédiction ne pourra être levée que par ma mort. Est-ce ce que je désire ? Je ne peux pas le savoir... Tant qu'un souffle de vie irriguera mon corps, je ma battrais pour le garder. La bête ne me laissera pas glisser dans le tendre oublie de la mort, la bête ne me laissera pas choisir. Seule le fleur de sang porte mes espoirs. Alors que puis-je bien espérer de ce loup ? Pourquoi Delvïss me l'a t-elle désigné alors que je suis condamnée à errer seule pour toujours ? Me laisser emporter par la véritable folie, par la joie macabre de tuer serait tellement plus simple. Mais je suis là.

Invité

J'avais vu un sourire apparaître sur le visage de Ryûseï. Je ne savais pas pourquoi il avait si vite disparu, vue l'importance que celui-ci semblait accordé à cette question, mais néanmoins, il avait souri. Je ne le connaissait probablement pas assez pour comprendre cela. Alors que je continuais à me demander ce qui pouvait le rendre si sombre, il releva la tête, plongeant son regard dans le mien et je sondais son regard. Mais si l'on peut voir les émotions dans les yeux, on ne peut y lire leurs causes. Son remerciement me confirma ce que j'avais compris de son sourire. Mes paroles lui avaient permis de se libérer d'une des ses angoisses, d'une de ses craintes, mais il semblait encore porter un fardeau, un fardeau trop lourd pour qu'il puisse vraiment se réjouir d'être libéré de celui-ci.
Je baissais le regard tandis qu'il me racontait ce qu'il s'était passé à Déméria. Il fallait que j'y aille. Je ne pouvais laisser de tels êtres s'emparer de ce pays. Mais c'était à Athée que le Dragon m'avait mené, et je ne pouvais pas non plus le quitter alors qu'il menaçait de sombrer à son tour dans le chaos. Je levais de nouveau les yeux vers la mer, vers le nord-ouest, vers les terres où j'avais grandi et où vivaient ceux qui m'avaient élevé, les maîtres Buggïns.

Un mouvement attira mon regard et une tache blanche apparu à la limite de mon champ de vision. J'ai à peine le temps de tourner les yeux vers cet être qu'il se met à parler. Ses yeux attirent mon regard, des yeux rouge sang. Et des ailes noires se fondant dans la nuit. Un des monstres du Changement. Une vampire... Mais une vampire qui suit Delvïss. Une ange qui s'adresse à mon compagnon en l'appelant un loup, un loup d'Origine. Qui était-elle? Pourquoi venait-elle ici? Et qui était ce musicien de la lune d'on elle parlait? Elle était effrayé. Mon regard se porta sur la fleur qu'elle tenait dans les mains. Une fleur rouge sang, elle aussi. Je tournais la tête vers Ryûseï. Pourquoi l'avait-elle appelé le loup? Qui était-il vraiment, lui aussi?

Il y à un battement dans l'air et un mouvement attire mon regard au même moment qu'il attire celui de Esigûr. Je tourne le regard vers la forme qui flotte près de nous. Elle me parle. Nul doute. Mais qu'était-elle ? Quelle créature revêt une telle apparence ? Ses cheveux blancs et ses grandes ailes blanches, ses roses rouges. Un démon ? Je m'apprête à me relever en dégainant mais mon champs de vision est soudainement frappé par une violente lumière argentée. Mon regard ne s'est pourtant pas levé vers Delvïss alors qu'est-ce ? Je ne sens plus tout à fait mon corps et de l'extérieur mes interlocuteurs me verraient, toujours assis ainsi, les yeux brillant d'une énergie argentée.

Je plongeais dans les méandres de ma propre inconscience, traversant des endroits incongrus et inattendus que j'ignorais êtres issus de mon imagination et atterrit finalement dans un champs d'herbes hautes. Une ferme se dressait un peu plus loin. J'étais chez moi. C'était impossible physiquement, alors par quelle sorcellerie ? Je regardais à trois-cent soixante degrés, tentant de trouver un indice, quelque chose qui trahirait la magie et qui me permettrait d'affronter mon ennemi. Quand mes yeux revinrent à la ferme, je trouvais une curieuse créature. Il avait une peau d'une étonnante clarté, des cheveux blancs aux reflets d'argent et portait des vêtements semblables à ceux des artistes itinérants, à la différence qu'ils n'étaient pas couverts de la poussière du voyage mais étaient d'un bleu éclatant. Il sourirait et il me rappelait curieusement Astélia, la mercenaire de Fentaeris. Dans une pensée, la solution me vînt.

- Un elfe. Déclarais-je dans un grognement. Je n'avais rencontré qu'un seul spécimen de cette espèce et cela ne m'avait pas donné envie de recommencer.

Son sourire blanc s'élargit, comme si il était content de ma constatation.

- C'est Exact Ryûseï.

Je cillais un instant, il connaissait mon nom et m'avait amener là où toute ma vie avait commencée. Qui était-il ? Je portais la main sur Reikon Tsuki et dégainais mais ne trouvais qu'une lame de bois avec pourtant la réplique parfaite de la garde de mon sabre. J'écarquillais les yeux, stupéfait.

- Qu'est-ce...

"Je n'ai pas le temps de tout t'expliquer et de toute façon, tu n'auras qu'un vague souvenir de tout cela." déclara-t-il avec un sourire amusé qui faisait monter en moi une certaines colère. Ce moquait-il de moi ?! Sans me laisser le temps de répondre, il poursuivit. "Tu dois retourner en Déméria, ton destin n'est pas ici. La porteuse de la fleur de sang sera ton guide jusqu'à la Terre du Roi. Comme toi elle est torturée et comme toi elle connaît la beauté de Delvïss, bien qu'elle lui rende un hommage bien différent du tiens. Tu n'aies pas le seul affligé d'une malédiction qui te contraint au sang. Vous devrez suivre le même chemin étroit pour survivre en un lieu où même la lumière de Delvïss se ternie. Aussi, je te demande de l'accueillir en amie." Il pivota sur lui-même, ne s'appuyant que sur la pointe d'un de ses pieds, ses bras levés vers le ciel et le monde explosa à nouveau en une lumière argentée.

Je revins à moi. Un regard. Le décor n'avait changé en rien, Esigûr toujours tourné vers la jeune fille aux ailes noires. S'étaient-ils rendus compte que de mon absence ? Je l'ignorais mais n'en avais pas vraiment cure. D'ailleurs que s'était-il passé ? Comme un rêve, mes souvenirs semblaient m'échapper alors que je tentais de me les remémorer, ne laissant qu'une vague impression. Le musicien de Delvïss. La vision d'un elfe souriant me vînt à l'esprit. Je le connaissais et même si il m'inspirait une sorte de sentiment désagréable, j'avais également la sensation qu'il valait mieux écouter ce que ce musicien pouvait avoir à dire. Ou du moins, ce que celle qu'il envoyait avait à dire. Je me lève et me dirige vers elle. Arrivé au bastingage, je lui tends la main afin de l'inviter à monter à bord.

- Delvïss et le musicien vous ont envoyés ici pour une bonne raison. Le loup ne chante par pour la lune ce soir, il écoute ses paroles.
Pendant un instant j'ignore comment la nommer mais une sorte de murmure me vient à l'oreille, entre le bruissement du vent, le clapotis des vagues, à peine assez fort pour que je l'entende alors que ce nom est dit au creux de mon oreille.

- Fleur de Sang, soyez la bienvenue, contez moi les paroles de la lune et de son musicien.

Je parlais d'une voix sereine et profonde. Une partie de ma culpabilité envolée et cet absence qui avait été comme une sorte de transe, je me sentais parfaitement apaisé et espérait pouvoir apaiser cette âme en peine. Je sens la tristesse qui l'anime. Esigûr quant à lui n'avait pas vraiment réagit depuis tout à l'heure. En tant que Sage Buggïn, êtres portés sur l'harmonie, pourrait-il m'aider à apaiser cette jeune femme ailée.

Les deux hommes me regardent, mais seul le loup semble menaçant. J'attendais plutôt un danger de la part de son compagnon, de celui qui ne m'a pas été désigné... D'un battement d'ailes, je recule, prise de terreur. Je ne veux pas mourir ! Ai-je retrousser les lèvres dans un feulement animal? J'espère que non, j'espère que je me suis reprise à temps, car la menace a disparu. Une de mes griffes a embroché un pétale de la fleur et l'odeur qui s'en dégage m'apaise doucement. Enfin, je peux reprendre mon vole immobile à quelques vagues du navire. Delvïss brille toujours, la rose de sang rayonne d'espoir, et mes lèvres entrouvertes ne forme plus qu'un sourire incertain. Une petite victoire sur la bête... Une de plus. Mais elle revient toujours plus forte alors à quoi bon ? Jamais je ne pourrais m'en défaire, une fleurs et une lune bercent mes fous espoirs.

Le loup m'accueille, mais je n'ose approcher. Sa main se tend au dessus des eaux... Que dois-je faire ? Le musicien de Delvïss veut me voir le rejoindre et cet astre d'argent ne saurait chercher à faire couler le sang. Elle n'est pas comme Zoltïss, sa sinistre compagne, je dois lui faire confiance pour le don qu'elle m'a fait. A t-il sentit mes craintes ? Il se met à parler. Sous la pâle lumière, il prétend écouter la lune. Si il est vraiment ce loup, si il est l'animal messager d'Origine, il doit savoir. La raison m'échappe encore et j'ai peur de la chercher, alors je m'en remet à lui. Mes ailes me portent au bastingage et je prends en silence la main tendue, prenant garde de ne pas le blesser de mes griffes.

Fleur de sang, il m'a donné ce nom. J'en ai la certitude, il est bien celui que je devais trouver. Non parce que la lune l'a désigné, j'avais bien compris que son messager voulait que je le rejoigne, mai parce qu'il m'accueille en me nommant par la source de tous mes rêves. La crainte s'envole en un instant et je lui souris, pleine de joie. Mes émotions sont si inconstantes... Un simple mot peut repousser la bête. Mes plumes noires effleurent le visage du loup comme je me pose à ses cotés, avant de se replier simplement dans mon dos, amas de nuit brumeuse. Si seulement mes yeux n'étaient pas si rouges, la joie et le soulagement y seraient tellement plus lisibles, mais leur indigne couleur fausse la pureté de mes sentiments. Pourquoi faut il toujours qu'un brouillard vienne entaché les bonheurs précaires que je parviens à créer malgré la malédiction ?

- Delvïss brille plus fort que jamais pour t'éclairer, loup, car tu es mon guide. Je ne sais pas si je suis le tien, et je doute d'en avoir la force. Je ne suis qu'une créature de la nuit attirée par la lumière...

Je soupire à cette idée, car je ne suis rien d'autre. Mais le sourire revient bien vite car une nouvelle route s'est ouverte et il ne tient qu'à moi de la suivre. Je ne serai pas seule, plus seule... Le loup veut entendre la lune, guérir lui aussi sa souffrance. Je n'en connais pas la nature, mais je n'en ai pas besoin pour sentir la folie qui l'habite. Lui aussi suivra le chemin pour chercher l'équilibre. Sans doute le véritable bonheur nous sera t-il à tous deux à jamais refusé, nous qui nous sommes bien trop enfoncé dans les ténèbres, mais la paix me suffira.

- Le musicien de la lune veut que nous partions à la recherche du Drad. Delvïss nous guidera, je l'espère, comme elle m'a guidé vers toi. Ses murmures nous entraineront vers l'Origine et guériront peut être nos douleurs si nous savons valser avec elle.

Je baisse les yeux. Il va venir, il va faire le chemin avec moi car je ne supporterais pas qu'il me laisse à nouveau seule. Delvïss ne peut pas me donner tant d'espoirs et les balayer d'une simple trainée de lumière... Que pourrais-je espérer d'autre ? Trouver seule le Drad ? mais comment me rendrais-je à Déméria sans protecteur ? La terreur de dernier voyage en mer me hante encore. La peur à chaque instant d'être découverte, les cris des marins pendant mon sommeil, les grincements de la coque qui menace de se fendre, libérant sur moi les brulant rayon du soleil... Et mon père loin derrière. Durant cette traversée j'ai eu tout le temps de regretter ma fuite. Mais ce n'était que la première étape car mon voyage n'est pas fini. Les vagues clapotent tranquillement autour de nous, un vent tiède caresse les voiles, ce voyage sera bien différent. Je contemple le navire, admirant sa force, son courage, sentant le sang qui l'anime sous sa carcasse de bois. Je n'ai toujours pas lâcher la main du loup, sa présence me rassure, mais ai-je encore peur sur ce pont bercé par les eaux ? Non, je n'ai as besoin qu'on m'apaise, pas maintenant. Mais la torture reviendra aussi sûrement que Zoltïss.

L'autre homme semble d'un calme sans limite. Qui est il ? Rêveuse, je le contemple en silence et tous le reste disparait. Pourquoi accepte il si facilement ma présence ? Je pose ma main libre sur la rose de sang et lui sourit. Le compagnon du loup appartient aussi à l'Origine, je le sens. La bête me rappelle qu'ils sont mes ennemis, mais j'ignore sa voix, ne trahissant ma crainte que par un frisson d'horreur au milieux de la quiétude. Delvïss ne l'a pas désigné, mais jamais son musicien ne nous a ordonner de partir seul, je dois savoir qui il est si il veut suivre le loup. Ma voix n'est qu'un murmure, je ne sais pas si j'ai le droit de m'adresser à lui. Il n'est pas de mon camp, pas plus qu'il n'est mon guide.

- Ami du loup, suis tu Delvïss ou un autre chemin ? Pardonne moi si ma présence t'offense, je ne suis qu'une fleur de sang incapable de supporter la lumière dorée... Tu pourrais me damner pour avoir choisi ce que je suis devenue, mais je ne savais pas et la malédiction est déjà depuis bien longtemps sur moi.

Mes yeux rouges plongent successivement dans ceux du loup et du dragon. Je les observe et je crains de voir le dégout apparaitre dans leur regard. Oui, ce que je suis, je l'ai voulu. Mais je n'étais qu'une enfant encore et le charme de mon père a toujours été puissant. J'ignorais la noirceur de la malédiction, je ne pensais pas qu'elle me pousserait à tuer. Mais elle ne m'a pas pris mes danses et les plus lumineuses seront toujours dédiées à Delvïss, même si celle de la lune de sang ne sont pas moins belles. Je ne les aime pas.

- J'étais Iris Celeste avant de rejoindre la nuit...

Les présentations étaient donc faites. Le guide acceptait le guidé et inversement. Quant à savoir qui était le guide, seul les dieux le savaient. Alors que leurs mains étaient closes l'une sur l'autre, la lune scintilla comme jamais. Juste pour eux et pour le Sage qui ne les suivrait pas. Peut-être leurs chemins se croiseraient-ils à nouveau ? Le destin est une chose d'inextricable, emmêlant les voies jusqu'à ce qu'on les perde complètement pour finalement se retrouver à une destination que l'on aurait jamais imaginé. Il est difficile de savoir où le destin nous amène mais la lune savait où emmener ces deux enfants maudits. Une douce mélodie, un air d'une flûte que nul musicien ne saurait exécuté aussi parfaitement que ce barde vînt jusqu'au oreilles des voyageurs et l'écho d'un rire, le murmure de quelques mots.

- Delvïss montre toujours la vérité.

Mais la mélodie semblait porter un autre discours. De ceux qui mettent un baume au coeurs. Comme les bras de son amour, comme une main amie sur l'épaule, comme le sourire d'un enfant, comme la joie autour de soit. Ils devraient affronter les ténèbres mais ils ne seraient pas seuls. Deux dans la malédiction, deux à la recherches de la lumières. Deux que la folie aime à étreindre, deux qui pourtant continuent de chercher des raisons, peut-être La Raison. Trouvez ce que vous rechercher par delà la mer de Sang et ramener la lumière dans un pays qui à perdu sa lueur d'espoir. Devenez de noirs sauveurs en essayant de retrouver ce que vous avez perdu et que plus jamais vous ne pourrez effleurer.

Les rayons de la lune s'intensifièrent ensuite et ils ne pourraient qu'échanger un dernier regard avec le Sage Buggïns qui seraient exclus de la lumière argenté dont le faisceau réduisait peu à peu sa taille jusqu'à ne plus englober que les voyageurs. Puis ses derniers disparurent alors que quelques notes de musiques s'échappaient encore, parvenant jusqu'aux oreilles de Esigûr. Nul autre que lui n'aurait remarqué la magie de la Lune. Pourquoi ? Peut-être allait-il l'ingorer toute sa vie. Mais le Destin est encore une fois une chose complexe. Peut-être sa voie alambiquée lui permettrait-elle de l'expliquer. Bien plus tôt que l'on ne le croit, on retrouve nos compagnons à la Croisée des Chemins.

Spoiler:

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