Eaux Troubles

Voir la jeune Hashimoto ressortir la poésie du maniement du sabre ne manqua pas de faire apparaitre un petit rictus sur le visage de Akihiko. Un rictus comme ceux que l'on a lorsqu'on ne se retient pas assez bien de rire. Les paroles de Tokiwa étaient elles aussi drole ? A moins que ce ne soit une contradiction dans son discours qu'il ne souhaita pas interrompre, par politesse ou par stratégie. Nuls doutes que le samurai du Corbeau avait détecter les failles dans un tel discours, c'était là son travail en même temps, mais où avait il pu les trouver ? Trop tard pour plus approfondir la question, car la suzeraine semblait attendre de plus amples explication concernant l'endroit sur lequel elle et la troupe s'était arrêté. La question était d'autant plus intéressante de par la fait que la grotte ne se trouvait pas à plus d'une dizaine de kilomètre du village. Ce fut cependant le porte parole de la conspiration, le maitre de la manipulation, le samurai du Corbeau qui répondit à cette question, les autres personnes étant volontairement muette ou pas assez digne pour répondre.

"On appelle cette grotte : "La Bouche". D'après vos magistrats, c'est un endroit plein de légende et d'histoire d'horreur, les enfants de Hi-Jal y font parfois des jeux de courages ... hehe la jeunesse et son envie de dépasser ses limites ... Naturellement, avec les troubles qu'il y a dans les environs, les jeux ont stoppé. En fait, à l'intérieur de cet endroit vivait jadis un ermite qui avait aménagé la grotte pour son confort personnel à la manière d'un maniaque. On raconte qu'après sa mort, il est resté dans les environs, surveillant ceux qui viendraient déranger ses affaires. L'endroit fut réquisitionné par le scientifique ..."

Coupant sa phrase, la suzeraine entendit derrière elle, à une bonne distance, un bruit de rocher qui roule sur une autre rocher. Lorsqu'elle se retourne, elle voit un petit homme, pas plus d'un mètre soixante. Les longs cheveux noirs, ultimes vestiges d'une calvities avancée, tombés sur ses épaules telle un voile alors que son corps maigres n'étaient caché que par une robe noire et violette, totalement rongée par le temps et la saleté au niveau des manches. De chaque coté de sa bouche, tombaient deux longues moustaches plutot fines. Ses yeux étaient presque constamment plissé, comme si le soleil lui tapait directement sur le visage, pourtant le ciel était bien morne ici. Le scientifique tenait dans sa main une bouilloire en céramique, qui semblait aussi vieille que que le bonhomme. Voyant que la compagnie était revenu, il leur fit un sourire amical en remplissant sa théière.

"Haaa vous voilà revenu. En même temps, avec le beau temps qu'il fait dehors, il serait dommage de rester enfermer, n'est ce pas ?"

"Oui Izawa-sama" dirent en choeur les disgracier

Alors qu'il se réveillait, le regard du vieil homme se posa sur Hashimoto et Motomatsu. Le sourire s'élargit et montre la dentition à laquelle quelques élément manquaient. Il s'approcha doucement pour s'incliner de manière tout à fait humble et de s'adresser aux deux tourtereaux.

"Oooh Akihiko, je ne savais pas que tu avais ramené Hashimoto-sama ici ... A quoi te sert de commander aux corbeaux si tu ne t'en sers pas pour me donner des nouvelles ... Ah lala les jeunes ... mais en même temps, je comprends, ton esprit a surement été distrait par la beauté de la jeune femme. Je suis Izawa Nakitoro, content que vous soyez venu si vite, j'ai tellement à faire. Tout comme vous à ce que je vois, je comprends qu'un vieil homme comme moi n'ai plus le prestige d'antan et que vous ayez de nombreuses chose à régler sur vos terres ..."

Le vieil homme se mit à avancer en direction de la grotte, continuant à parler sans se retourner en pensant que la suzeraine et le vainqueur le suivaient. Sa voix mieleuse de papi sympathique était tout le temps ponctué de petit ricanement fatigué. Sa vitesse de déplacement était particulièrement lente, plus encore sur ce sol instable fait principalement de pierre et de rocher. Qui sait combien d'os il pourrait se briser en tombant.

"... Mais j'ai bien compris que votre problème personnel est plus important et mes recherches peuvent attendre bien entendu. Je me demandais quand vous alliez venir en fait. Certes je n'ai guère envoyé de faire part de mon arrivée mais comprenait qu'une personne dans ma position, et aussi fragile que moi, se doit de rester discret. J'ai eu de la chance de tomber sur cette maison de toutes évidences, parcontre je regrette de ne plus avoir de thé noir, le thé vert est tellement fade, mais c'est les inconvénient de la campagne j'imagine..."

Parlant sans véritablement s'arrêter, le vieil homme continue son chemin. Akihiko fait donc signe à la samurai de le suivre, laissant la dame passer devant lui par respect protocolaire. De toutes évidences, les réponses se trouveront à l'intérieur de la grotte. Akihiko avait promis que Tokiwa n'aurait pas la moindre crainte en ce qui concernait son intégrité physique. Pouvait elle lui faire confiance ? A cet instant Akihko semblait sincère. Pouvait elle faire confiance à sa sincérité ?

"Vous aimez le thé vert, Hashimoto-sama ?"

Izawa. Il s'appelle Izawa. Ce vieux bonhomme aux allures débonnaires et sans manières, qui s'adresse au Seigneur Cobeau par son prénom… (par son prénom !) et qui me tourne le dos sans égards pour mon statut ou mon rang.
J'en suis stupéfaite. Mais je ne me formalise pas si longtemps que ça. Je savais déjà que mes convictions allaient être ébranlées. L'irruption d'un olibirus sans éducation fait partie du schéma. A moins qu'il ne s'agisse d'un de ces hommes si sages et si avisés qu'ils en transcendent les usages au point de les dépasser.
Alors ai-je affaire à un idiot ou à un visionnaire ? Sur ce point je serai assez vite fixée.

Claquant ma main sur la garde de mon sabre, j'emboite le pas du vieux dans sa grotte sans me préoccuper une seule seconde des risques. Je sais que je risque tout. Mais je sais aussi que j'ai déjà tout perdu, alors qu'importe ? Si on cherche à m'attaquer moralement, c'est en pure perte car j'ai déjà renié mes espoirs. Si on me menace physiquement, alors j'aurais peut-être la rédemption ultime de mourir en défendant ma peau plutôt que de me laisser mener ainsi.
Oui, je guette et j'espère une occasion de dégainer mon sabre et de réagir ainsi qu'un Lion le ferait en pareille situation.

En passant près du Seigneur des Entourloupes, j'ai quelques mots sur les lèvres :

- Je n'ai que faire de la couleur du thé Motomatsu-sama, du moment que l'eau est assez chaude. Cette température qui fait parfois monter les larmes dans les yeux… et l'amertume qui engourdit la langue.

C'est un peu étrange de ma part, mais je suis dans une situation inhabituelle. Et je dois bien dire que les circonstances me poussent dans mes derniers retranchements : plus aucun garde, plus de visibilité, plus de pouvoir, plus de contrôle. Je n'ai pas connu pareil enfer depuis ma naissance. Toujours, toute ma vie, j'ai été encadrée, régulée, informée. Et pour cette fois, je dois improviser avec le peu que j'ai à disposition. Et c'est dans ce genre de moments que le naturel revient au grand galop. Naturel que nous nous efforçons de chasser, en tant que samouraïs.
Alors comme l'éducation et les habitudes resserrent finalement leurs étaux sur mon esprit, je me reprends, les yeux ronds et les lèvres ourlées de surprise :

- Pardonnez moi, je m'égare.

J'incline la tête pour passer sous une voûte minérale plutôt magistrale et savoure la fraicheur toute relative qui m'embrasse en entrant dans la grotte. Ce périple chaotique aura au moins le mérite de me faire découvrir des endroits intéressants. Et le simple fait que je me mette à extraire ce qu'il peut y avoir de bien dans ces petits instants en dit long sur le désespoir qui empoisse mon esprit petit à petit dans la décrépitude.

Entrant dans la grotte, Tokiwa découvre que celle ci a été habilement transformé en maison. Une porte double a été monté sur une paroi qui elle même avait été taillé grossièrement. Les marques dates d'assez longtemps, peut être du premier occupant. Toutefois, proche de la sortie, Tokiwa note qu'il y a des traces de griffes qui semblent, elles, récentes. Mais bien vite, la suzeraine entre dans la demeure de feu l'ermite. L'endroit semble particulièrement poussiéreux et certains meubles doivent dater d'au moins de cinquante ans. Bizarrement, malgré la proximité de la rivière l'endroit est assez sec ce qui a permit à la plupart des pièces de bois de ne pas pourrir. L'atmosphère est respirable, agréable même, car, comme dans beaucoup de souterrain, il ne fait rarement plus de 22 dégrés. Cette température devient d'autant plus agréable que l'air qui semble tout de suite plus respirable. L'atmosphère malsaine ne semble guère avoir prise ici. Peut être est le fait d'être dans un lieu naturellement sombre qui atténue la chose ? Ou encore que l'endroit soit purifié par la présence du scientifique ? Impossible à savoir pour la suzeraine. L'endroit n'est pas bien grand, à peine plus grand que la demeure de Takae, toutefois, il y a des aménagements dans certains endroits : des cages. 2 pour être exacte, elles sont vides et assez vieilles à priori, mais elles ne sont clairement pas d'origine. Le vieil homme s'approche d'une sorte de petit feu légèrement enterré dans le sol et surtout au dessus d'une sortie d'air au plafond. Il y pose la théière avant de se retourner vers ses deux invités. Il semble tout de même surpris quant à l'accoutrement de la jeune samurai.

"Enfin Hashimoto-sama, je sais que je suis doué dans mon domaine mais je ne pourrais jamais vous aidez si vous ne me montrez pas un minimum votre silhouette. Il y a un paravent derrière moi, allez donc retirer votre armure. Il y a un kimono, je ne sais pas s'il est à votre taille ..."

"Il l'est" interrompit Akihiko avec un sourire aux lèvres

"Ah bah voilà quand on parle de femme tu réagis vite mais pas quand il s'agit du confort d'un pauvre vieillard tu oublie ... Tu es vraiment incorrigible" s'énerva doucement le vieil homme.

Le vieillard semblait particulièrement familier envers Akihiko, et cela semblait particulièrement réciproque. Un sourire complice s'afficha sur ses lèvres, preuve que parfois les Corbeau savent être ouvert aux autres. Mais cela, Tokiwa l'avait déjà vécu, deux fois. Une fois dans la forêt où elle avait vu l'inquiétude sur son visage et une fois dans l'auberge, où il avait été charmant ... différent ... honnête. L'honnêteté, une chose qui était particulièrement difficile pour l'homme et encore plus pour les samurais. L'honnêteté grandissait un samurai comme le mener à la disgrace et au seppuku. L'honnêteté pouvait être un poison qui assombrissait l'ame de celui qui ne la contenait ou ne la rejetait pas. Pourtant, malgré quelques informations mis à part, Akihiko avait été honnête plus de fois que Tokiwa n'avait, elle, été honnête avec elle même. Etait ce une ruse du Corbeau pour plus la déstabiliser ?

L’aménagement intérieur de la grotte n’a rien de très remarquable en soit. Mais le simple fait de vivre ainsi en troglodyte m’est assez étranger pour que j’ouvre les yeux comme une gamine qu’on viendrait de faire entrer dans le Palais de Jade. Non pas que ça m’impressionne d’ailleurs, mais entre la curiosité et le manque de luminosité, je suis bien obligée d’écarquiller un peu.

Au final, je discerne déjà dans l’attitude du vieil homme une propension sans complexe à la "causerie galvaudée". La discussion libre, libérée, libertine… peu importe, toutes ces phrases, ces tas de mots indécents qu'on mâchonne avec la fine satisfaction de voire son interlocutrice rougir parce qu'on a été assez culotté. Ou bien encore les dialogues décalés, burlesques, où l'on s'efforce de tourner en ridicule le phrasé ampoulé d'une samouraï qui s'efforce simplement de respecter les traditions.

Toute ma vie j'ai redouté ce genre de personnage en ce qu'ils impliquent de déviance, de déséquilibre et de perturbation des ordres sociaux. En temps normal, j'aurais immédiatement fait emprisonner un pareil troubadour. Mais évidemment, je ne peux rien en faire. Et je ne suis pas sûr que ce serait la meilleure chose à faire. Le contact du Corbeau m'aura au moins appris une chose, le temps des faux-fuyants est terminé. Nous abordons une époque où il faut toujours regarder en face l'Inhabituel, même avec un petit "i", quand celui-ci se courbe sous l'ossature rachitique d'un vieillard disgracieux.

Ces pensées m'accaparent pendant les quelques instants de stupeur qui suivent son injonction digne d'un médecin à aller me dévêtir derrière un paravent. Evidement, ma réaction va beaucoup les amuser l'un et l'autre. Je vire pivoine, je tressaute, tressaille, ma poitrine se gonfle puis se bloque. Je ne sais pas comment formuler mon indignation et craignant de bafouiller car je ne suis pas la meilleure oratrice (et encore moins ici), je me crispe. C'est… insupportable.

Mais j'ai été éduquée à tenir le coup. Alors je m'accroche et puisque je ne peux pas parler, trop estomaquée pour protester, je pivote doucement sur mes talons et fixe le paravent sans bouger. Là, dans cet angle où pas un ne peux me voir, je laisse ma figure se décomposer un triste instant, mes lèvres retombent, je ferme les yeux, mes épaules s'abattent.

Ces hommes. Ils vont me dépouiller de tout ce qui compte à mes yeux. Et je ne peux pas leur résister.

Non, c'est même plus important que ça. Je ne dois pas leur résister. J'esquisse quelques pas et disparaît derrière le paravent toujours sans parvenir à desserrer les lèvres.
Je reste là derrière, je ne bouge pas. Pas un de mes muscles ne réagit. Je ne trouve pas la force d'enlever cette carapace. Mon armure. Ma fierté. Ma raison de parader et de défier le monde du regard. Oui, elle compte beaucoup trop pour moi. Mais je n'y peux rien, je n'ai pas choisie d'être une guerrière, je le suis devenue quand la cruauté d'un clan à poussé ma famille au bord de l'abîme. Et maintenant encore, alors que la situation du fief Hashimoto est précaire, je me repose sur les signes visibles.

Non vraiment, je ne peux pas bouger un index là. Pourquoi suis-je si faible ?

Alors que la jeune suzeraine se retrouve paralysé par l'inconfort, l'espèce de légèreté qui règne dans la pièce ou Akihiko et cet Izawa sont en train de préparer un thé. Devant ses yeux, la jeune femme put voir un kimono de soie aux couleurs de son clan. Etrange attention d'une personne, d'autant plus que l'attention semblait être parfaitement à la taille de la jeune femme. Akihiko semblait avoir dit que c'était lui qui avait fourni le vêtement. Comment avait il pu prévoir aussi loin dans le futur alors qu'il n'avait pas quitté les cotés de Tokiwa ? Cela signifiait qu'il avait prévu cette rencontre. Mais il était impossible pour lui de prévoir des réactions que la suzeraine ne pouvait elle même prévoir ? Cela signifiait que soit il avait des capacités stratégiques et manipulatrices hors du commun, soit il avait accepté de prendre des risques démesuré pour arrivé à ce résultat. Talent ou orgueil, le fait est que Tokiwa était là devant ce kimono, à deux doigts de réaliser l'un des objectifs du Corbeau. Il voulait la voir sans son armure. L'armure de la samurai était d'ailleurs quasiment déjà tombé. Certes la carapaces de pièces de métal et de cuir était toujours sur son dos mais celle qui la protégeait du monde, elle, était meurtrie au point de laisser sa propriétaire en état de choc. Toutefois, malgré son état, derrière le paravent, les deux autres personnes dans la pièces semblaient continuer leur discussion comme si de rien n'était. En même temps, peut on leur reprocher de ne pas pouvoir voir la tétanie de Tokiwa ? Cette discussion semblait parfaitement banale et débuta après le bruit caractéristique d'une théière que l'ont posait sur un crochet, surement celui au dessus de l'atre de la grotte.

"Tu es bien silencieux Akihiko, cela m'étonne te connaissant. Je me souviens encore il y a pas si longtemps, tu ne faisais que parler et parler ... Un moulin à parole"

"Cela remonte à bien des années, Izawa-san, et si vous vous rappelez bien, c'était une habitude que je prenais quand mon père était loin, et que je ne risquais pas la trique par punition"

"Ton père serait dans la région lui aussi ?"

"Non mais en plusieurs années, j'ai eu l'occasion de me faire prendre, du coup j'ai appris à modérer mon débit de parole"

La réponse de Akihiko provoqua chez le vieillard une sorte de petit rire aigue, d'apparence incontrolable qui manqua de peu de se transformer en fou rire. Il était souvent rare de voir les gens discuter librement les uns avec les autres, en particulier dans la haute société de Hu-Bei, mais en cet instant, on aurait pu les croire deux amis discutant tranquillement, attendant que leur diner cuise ou que leur femme leur apporte le repas (oui Akihiko est bien trop beau garcon pour être seul s'il était un gens).

"Apprendre des punitions est un moyen comme un autre d'apprendre. Le fait qu'une tête de mule comme toi ait appris un minimum de mutisme me fait penser que les miracles peuvent exister et donc qu'il est possible que je trouve enfin le bon mélange. Je suis tellement près du but ... je le sens"

"Vous êtes sûr de votre théorie ?"

"Ai je jamais eu d'analyse fausse ?"

"Et bien ce n'est pas la première erreur ..."

"Tatata, ce ne sont pas des erreurs mais des avancées empiriques. Le Port du Corsaire ne s'est pas construit en un jour que diable"

Le ton d'Izawa était devenu celui d'un enfant qui se défend devant un adulte qui sait ne rien comprendre à sa logique. Un ton presque vexé, légèrement énervé mais toujours un peu craintif par rapport à la réaction de son interlocuteur. Ils se connaissaient depuis bien longtemps, c'est un fait. De là à dire que toutes les calamités sont liés de près ou de loin à ce Corbeau, c'était une amalgame plutot dangereux. C'était vraiment un lien étrange qui liait ces deux hommes. Tantot ami, tantot critique, encore fallait il que la jeune Tokiwa sorte de sa torpeur pour pouvoir y assister.

J'en suis encore à pleurnicher stupidement sur mon sort, ne percevant que d'une oreille distraite la conversation qui continue tranquillement derrière le paravent lorsqu'il me vient à l'esprit que, si je suis liée par l'honneur au Seigneur Corbeau, j'ai également un devoir de protection envers mes vassaux et d'allégeance suprême à l'empereur.
Je ne peux pas rester éternellement repliée sur mes angoisses personnelles. Je dois comprendre ce qu'il se passe ici. Mener mon enquête en quelque sorte, puisqu'aucun de mes subordonnés n'a été capable de me rendre compte.

Alors qu'une bouffée de colère clapote à la surface du lac noir de mes tourments, je reprends confiance. Je vais obéir. Il en va ainsi des choses que l'on doit accomplir pour garder la tête hors de l'eau. Même si l'on devait me trancher la tête, je devrais être capable, en une ultime circonstance, d'accomplir une dernière action avec certitude pour l'empire. J'acquiesce mentalement à ce precepte du Hagakure et déboucle les premières attaches de mon plastron.

La réponse est pourtant simple. "Tant que l'on fonde son raisonnement sur son Moi, on est à la rigueur prudent et astucieux mais on n'est pas sage."

Il faut un certain temps à un samouraï pour retirer son armure. Il en faut encore plus quand il est seul et quand cette armure mérite la dignité des anciens en tant que relique du prestige familial. Il y a un rituel précis à accomplir. C'est encore plus long, je le découvre assez vite, lorsqu'il faut se déshabiller dans une grotte humide mal éclairée.
Je dénoue les premières ceintures de tissu, fait passer les sangles au-dessus des protection de métal puis détend les brides de soutien des hanches, des épaules et des reins.

Et pendant que je ferraille, je réfléchis. Il doit y avoir une faille dans la trop parfaite organisation du Corbeau. Tout plan même mûrement réfléchi ne peut pas prendre en compte tout ce qui pourrait surgir. Je ne me fais pas trop de souci sur ce point. Mon vrai problème est plutôt : s'il y a une occasion, devrais-je m'y précipiter au risque de compromettre ma parole ?
Il faut que j'établisse une hiérarchie précise. La sécurité de mon fief, l'honneur de ma famille… droits et devoirs.

Je tourne la tête de droite et de gauche mais évidemment, il n'y a pas de support. Je dépose finalement les jambières à même le sol, ne trouvant pas d'endroit adapté pour disposer les pièces de cuirasse. La pression s'allégeant petit à petit sur mon corps, je me sens de plus en plus vulnérable. Cette sensation perverse me coule un frisson derrière la nuque. L'air frais à fleur de peau, cette sensation de liberté qui s'associe d'habitude à la relâche après un dur combat…
Sous mon armure, je porte d'abord une collection de rembourrages tâchés de rouille que j'ôte avec soulagement puis le hakama traditionnel qui, une fois libéré de ses entraves se déploie totalement et masque mes pieds.

Un bref soupir de résignation franchit mes lèvres. Je regarde mes avant bras nus encroûtés de boue. Je secoue la tête et dénoue les bandes de tissus qui retiennent mes manches relevées. Mon hakama est un peu fatigué, c'est une bonne chose qu'il y ait un kimono à ma disposition. En touchant le tissu délicat du bout des doigts, je repère le mon des Hashimotos sur le dos. Voilà qui est inattendu.

En le dépliant, j'ai encore plus de surprise plissée sur le visage. C'est un furisode noir et rouge à manches amples ! Précisement ma tenue préférée... Je vois que quelqu'un a su exploiter son temps sur mes terres. Et pas seulement en dévoyant quelques magistrats par-ci par là. Soit. J'opine et dénoue la dernière ceinture qui retient mon hakama. Elargissant l'échancrure, je roule le haut sur mes hanches et laisse glisser le tissu épais sur le sol. Nue, je frissonne un bref instant dans l'atmosphère froide de la caverne mais je ne me laisse pas aller à tremblotter comme une faiblarde. J'enfile le kimono, couche par couche, prenant mon temps (et c'est assez long), pour en disposer les plis de manière harmonieuse.
Evidemment, il s'ajuste parfaitement sur mes épaules. Taillé sur mesure, comme s'il venait de ma garde-robe personnelle. Je soupire. C'est tout à la fois extrèmement frustrant et appaisant. Mais aussi rageant, humiliant et attentionné. Bref...
Réfléchissant un bref instant, je décide de ne pas toucher à ma coiffure. Je n'ai pas les moyens de composer une parure digne et je pense qu'ils s'en fichent. Evidement, ma coupe à la mode guerrière tranche un peu mais ça vaut mieux que de dénouer mes mèches librement.

Un dernier regard bourrelé de remords sur mon armure entassée improprement sur le sol, je prends une dernière inspiration et paraît. J'essaie de garder un air digne mais je me sens mal à l'aise. Vulnérable et surtout, lâchée à pleine vitesse sous les feux inquisiteurs d'une double paire de regards. Je me sens transparente, transpercée, lacérée de courant d'airs. Mais je garde la tête haute, le regard fixé sur un point imaginaire situé quelque part au-dessus de leurs têtes. Je m'efforce de tenir mon sabre d'une main légère, l'air de ne pas y toucher, comme il convient de la part d'un Seigneur.

Puis je les dévisage l'un et l'autre. Le vieil homme et son plus jeune complice. Et tandis que j'essaie de percer leurs pensées, un autre passage du Bushido me revient en mémoire :

"Un Samouraï éclairé est celui qui se préoccupe des détails de l'action, avant l'heure. Un Samouraï imprévoyant laisse, au contraire, la pénible impression de patauger dans un imbroglio désordonné et sa réussite ne ressortit que d'une chance anormale. Seul un Samouraï négligent n'envisage pas toutes les éventualités avant le moment de l'action."

Le temps de l'habillage était long en effet, et ce temps était largement utilisé par les deux complice, comme les identifiait Tokiwa. La discussion de tout à l'heure continuait, malgré le silence gêné qui suivit la réaction infantile du vieil homme. La remarque l'avait semble-t-il plutot contrarié, et pour cause, la vie du vieil homme avait surement été consacré à son travail pendant toutes ces années, plus encore pendant les quelques années où l'on lui avait intimé l'ordre d'arrêter de tel recherche. Contredire un ordre impérial (mais pas forcément de l'empereur) était soit la preuve d'un sentiment de déviance ultime soit de sacrifice de soit. A l'instar de ces magistrat Hashimoto, ayant accepté de renier une parole pour une récompense encore inconnue. Qu'avaient ils pu bien avoir comme promesse pour succomber ? Dans ses souvenirs, Tokiwa avait toujours vu une grande dévotion de ces hommes non seulement pour elle, mais pour le nom des Hashimoto.

"Quoiqu'il en soit, ce sont ces erreurs empiriques qui vous mettent dans le pétrin. Comme toujours d'ailleurs et je dois ajouter que..."

Un croassement résonne dans la grotte alors que Tokiwa reconnait un battement d'ailes parcourir la pièce. Un des maudit Corbeau de Akihiko était arrivé et s'était surement posé près de lui. Un autre croassement se fit entendre suivit d'une certaine surprise dans la voix du jeune maitre corbeau.

"Il semblait qu'il y ait un élément ... étrange dans le convoi de mercenaire qui a été engagé"

"Elément étrange tu dis ? Fais moi voir ce Corbeau"

Tokiwa vient de finir de retirer sa cuirasse alors qu'elle entend une sorte de marmonnement mystique provenant du vieillard. Bien entendu, elle ne comprenait pas cette langue. Ou plutot si, elle comprenait les mots sans comprendre leur sens, ressemblant à un langage codé avec des expression et des numéros. Ce qui la surprend le plus c'est que Akihiko, lui, n'avait jamais eu à se concentré et à marmonner de la sorte. Le sort était il si puissant que cela ? Quoiqu'il en soit les marmonnement de l'ancien durèrent un minute avant que tout ne stop d'un coup, plongeant la grotte dans un silence total, au point qu'elle entende glisser la soie sur sa peau. Le silence dura un petit moment, ce qui permit à la jeune suzeraine de s'habiller de manière plutot tranquille. Juste quand elle ajustait sa tenue elle entendit une exclamation du vieil homme qui relache le corbeau comme pour un lacher de colombe.

"Par tout les kamis ! C'est ... c'est possible ! Je le savais, je savais que c'était possible. Un spécimen parfait ! Par tout les kamis, il doit venir ! Il doit être présenté à l'empereur ! Il est la preuve ! J'ai attendu ce moment tellement longtemps"

Le vieillard avait la voix à deux doigt de défaillir alors que la suzeraine apparaissait aux yeux des deux hommes. Elle put voir que l'ancien avait les larmes aux yeux ce qui donnait un aspect bizarre à son visage. Tout à l'heure légèrement mesquin, il en devint presque touchant, vulnérable. Un sourire satisfait était sur le visage d'Akihiko, voyant le sensei à deux doigt de sauter partout comme un fou, se transforma en sourire encore plus satisfait en voyant le style de dame Hashimoto dans la tenue qu'il avait choisi. Il l'invita à s'assoir avant de prendre la parole

"Isawa-sensei, je pense qu'avant de voir cette personne débarquée, vous aviez une invité, non ?"

Isawa se reconcentre un moment avant de s'essuyer les yeux de ses mains ornés d'ongles légèrement trop long. A ce moment précis, la samurai, qui pensait réussir à percer l'ame de ces interlocuteurs sentit une bien étrange sensation quand le vieil homme se mit à la regarder. Il ne plongeait pas son regard dans celui de la jeune femme. Son regard était surtout plongé dans sa silhouette pourtant habillé. Un oeil expert, critique, professionnel, que l'on pourrait croire pervers l'espace d'un instant, mais ce n'était pas le plaisir qui guidait sa vision, c'était plus une sorte de démarche.

"Une invité en effet et une invité qui semble avoir une silhouette qui lui pose des problèmes ... hmmm oui ... je vois. Alors vos magistrats disaient vrais. C'est un problème certes important mais totalement curable. Je peux vous soigner cela quand vous le souhaitez, Hashimoto-sama. Mais rien ne presse, le thé est prêt maintenant, il serait donc dommage de ne pas le boire, ne pensez vous pas ?"

D'un geste assez rapide, il empoigna le manche de la théière où avait infusé le thé vert. Avec un geste habile et précis, il servit les trois tasses, avant de se reposer à genoux sur son coté de table, attendant la réponse de Tokiwa.

Il s'est produit dans cette grotte un évènement de nature à perturber ces deux là… et je doute que ce soit mon apparition. Je ne suis pas de celles qu'on reluque.
Je tâche de ne rien montrer lorsque je m'installe à genoux, glissant mon sabre le long de ma cuisse gauche. Mes doigts tapotent légèrement le sol, je ramène mes mains devant mes genoux.
Les propos du "scientifique" déchu font allusion à la forme de mon corps. Je suis peut-être noyée dans les marasmes mais je comprends facilement d'où lui vient cette information. Et il se trouve que, comme par hasard, j'ai tenu une conversation à ce sujet avec le comploteur au visage dramatique quelques heures plus tôt.
Il faut que je choisisse néanmoins scrupuleusement mes mots. Je dois glisser dans ce goulet d'étranglement avec subtilité et non pas selon l'habitude des samouraïs du Lion, en taillant dans le vif. Mais en tant que femme, c'est un exercice que j'ai déjà dû pratiquer pour légitimer mes vues.

- Je vous remercie, j'apprécierai une bonne coupe de thé en effet.

J'examine mes choix, j'étale ce que je sais au creux de ma paume comme un éventail et je tâche d'en retirer une philosophie viable. Je ne dois pas laisser penser que je suis résolument rigide. Sans marquer une opposition bornée, je tiens quand même à jalonner mon opinion et les limites de ce que je suis prête à entendre. Par exemple, assister à une discussion d'ordre privée sur mes mensurations et mes capacités à enfanter n'entre pas dans ce que je considère comme une conversation acceptable avec un inconnu et un traître.
Je souris gentiment.

- Oo San, je pense qu'il serait plus judicieux et profitable pour nous tous que nous entrions dans le sujet dont dépend votre raison de respirer cet air trop moite et de séjourner dans un habitat, certes confortable, mais bien loin de ce qu'une personne respectable serait en droit de prétendre après une vie passée au service de l'Empereur.

Je soupire doucement, comme navrée de constater un gâchis. Ou simplement pour reprendre ma respiration après cette tirade d'une longueur inaccoutumée.

- Mais s'il me faut répondre à votre interrogation sous-jacente, sachez que je ne suis nullement disposée à altérer mes forces et mes faiblesses par une manipulation extérieure. Elles sont miennes et je compose chaque jour en ayant conscience de mes limites. Elles me permettent de rationaliser, de connaître ma place et par cela, de me dépasser.

Je regarde fixement le dénommé Izawa d'un œil brillant, le sourcil arqué entre humeur et éclat. Je ressens un profond dégoût pour cet homme. Il s'est échappé de l'ordre établi pour mener à bien ses expériences. Il en est venu à vivre ici, reclus, déchu et même alors, il se comporte en maître. Sa fierté trahit son arrogance. Sa passion larmoyante trahit son hérésie.
Et j'ai bien l'intention de tenir bon face à ce rejeté. Quand au Seigneur Corbeau, pour le moment, je l'ignore magistralement.

- Je suis bien plus curieuse en revanche de connaître ce que vos talents ont pu créer à partir d'une situation si peu enviable. Il m'a déjà été rendu compte de la nature de vos recherches. Je dois avouer qu'elles m'intriguent et suscitent une agitation assez perceptible sur mes terres. Raison pour laquelle en fait, vous me voyez "invitée" en votre demeure.

Le vieil homme est légèrement surpris par les termes utilisé par la jeune suzeraine. Interrogatoire sous-jacent ? A croire que cette jeune femme était prisonnière avec des chaines et autres liens et que le vieillard disposait d'outils de torture à portée de main. Pourtant il n'en était rien. Elle avait reçu des égards que bien peu d'invité aurait eu droit de la part d'un ronin. Car c'est bien ce qu'était cet Izawa au final, un ronin, un renégat qui refusait de se sacrifier pour sauver son honneur. C'est donc avec un sourcil perplexe que l'ancien regarda la nouvelle venue dans son petit coin de confort. Il lui rétorqua quelques paroles après s'être essuyé les yeux.

"Sachez jeune fille, que cette endroit, est plutot confortable comparé à certains endroit que j'ai du visiter et même si j'apprécie les quelques services qui sont proposé à une personne qui fut mon rang, je ne les apprécierais plus jamais de la même manière après la troisième tentative d'assassinat sur ma personne des Traqueurs silencieux, âmes damnées de l'empire, faisant disparaitre les gens comme moi"

Citant ces "Traqueurs silencieux", Tokiwa note une subite haine viscérale dans les paroles d'Izawa. Tu as bien évidemment déjà entendu le terme d'âme Damné. C'était une vieil légende racontant que certains clan disposait de samurai ne respectant plus le bushido. Du moins, ils ne s'encombrait plus de la barrière qu'est l'honneur dans le but d'accomplir leur mission. Pour beaucoup de samurai du clan du Lion ce n'était qu'une légende des membres du clan du Corbeau, une sorte de croque-mitaine, là pour faire peur à ceux qui se pensent assez intelligent pour circonvenir aux décrets impériaux. Mais le fait est que pour Izawa, ces "légendes" existaient bel et bien. Quant à savoir s'il mentait sur l'identité de ses assaillants, c'était une autre histoire.

"En ce qui concerne votre interrogatoire, je ne vois pas de quoi vous parlez. Je n'ai nullement l'ambition de vous interroger. D'une part vous êtes la daimyo de cette famille et d'autre part parce qu'on interroge uniquement lorsque nous avons besoin de savoir quelque chose. Je n'ai pas besoin de connaitre quoique ce soit sur vous. Je devais juste voir votre silhouette pour voir si mes connaissances vous permettrez d'enfanter sans risque. C'est un problème qui semble secouer votre clan pour que 3 magistrats de votre famille me protège en échange de ce service, ne trouvez vous pas ?"

Enfanter ? L'avenir du clan Hashimoto, était ce une chose assez précieuse pour accepter de se trainer dans la boue, soit et son honneur ? Une question plus que philosophique il faut dire. Dans l'histoire du clan du Lion, on a vu cents exemple de cas qui pouvait se rapprocher d'un tel sacrifice. Plus que la vie, l'honneur était une chose importante pour ces hommes et femmes. De fait la seule personne qui pourrait rendre crédit à ce sacrifice d'honneur, de le rendre génial ou totalement fou, était Tokiwa. C'est elle qui décidera du sens de ce don de soit, encore une responsabilité sur ses épaules.

"Mais je vois bien que mes "recherches" vous inquiète, et ces bien normal. Ce n'est pas pour rien qu'Akihiko a posé l'idée d'engager des ronins pour éliminer ces "erreurs nécessaires". J'avais certes peu d'espoir sur la réussites de ces expériences, mais je me disais que la jeune enfant avait la carrure assez solide pour tenir le choc. Elle était bien batie, en pleine croissance ... Mais ces "erreurs" vont prendre fin sous peu. Il y a sur la route du nord une caravane qui semble posséder une personne qui est la parfaite finalité de mon travail. L'Ombre est en lui mais il n'y succombe pas, il la dompte et l'utilise contre les autres sujet d'expérience. Elle ne métamorphose pas son corps comme les autres. Cela signifierai entre autre, que la résistance physique n'est pas l'unique facteur dans la mutation de ceux qui reçoivent l'Ombre. Mais n'ayez craintes les soins qui vous sont nécessaire sont loin de nécessiter une composant aussi instable que l'Ombre, ca serait plus dans l'utilisation légèrement détournée d'une magie antique, totalement sans risque, pas forcément indolore mais sans risque je le garantis"

Tokiwa voit bien que parlait de son travail avait totalement métamorphosé la manière de parler d'Izawa. Il avait clairement une maitrise imbattable sur le sujet. Et semblait avoir un esprit d'analyse assez poussé en ce qui concernait ses recherches qui était entre l'impressionnant et l'effrayant. Avait il déduire tout ce qu'il venait de dire juste en parlant avec un Corbeau ?

Si je souris muettement au terme de "jeune fille", je ne relève pas la remarque. Après tout je l'ai bien qualifié de "vieil homme" et j'ai d'autres chats à fouetter. Je décèle plutôt dans son insistance à parler de ce qui ne le regarde pas une forme d'arrogance savante qui me mordille les nerfs.
Je relève un moment ma longue manche devant mes lèvres et penche la tête avec une fausse indulgence. Lorsque je repose la main dans mon giron, ma voix est peut-être un peu plus sèche qu'avant. Mais le ton reste courtois.

- Il me semble pourtant avoir été clair Oo San. Je n'ai pas l'intention de me prêter à une magie. Et ce quelqu'en soit la nature. Pas plus que je n'accepterais une solution médicamenteuse ou une autre modification. Ce problème là ne regarde que moi. Et je serai seule juge des compétences que je requerrai si je le désire. (Puis étendant la main d'une manière définitive). Il ne sera rien ajouté sur ce sujet.

Seul un fou oserait braver une interdiction aussi explicite de la part d'un dirigeant. Même liée par l'honneur à respecter la volonté du Corbeau, je serais contrainte de réagir immédiatement si l'on me fait cet affront.

Je laisse passer un bref moment de silence, aussi bien pour laisser l'empreinte de cette dernière phrase s'appesantir sur les esprits que pour ressasser les allégations concernant "L'Ombre" et les "Traqueurs Silencieux". L'un et l'autre existent peut-être ou sont peut-être de stupides affabulations. Mais dans quel but me mentirait-il à ce stade ? Il est à la fois trop tôt et trop tard pour chercher à m'abuser. Non, j'ai bien l'impression qu'à l'image de ses manières, cette discussion est franche pour le moment. En tout cas de son côté. Et ça ne m'empêche pas d'émettre quelques réserves.
Je lui accorde donc un confortable bénéfice du doute et reprends.

- Hmm, ainsi il semblerait que vos expériences soient délicates et difficiles à mener à bien dans un tel contexte. Pas sans risque pour les… comment dites vous… sujets ? Mais il est vrai que les grandes œuvres ne peuvent s'accomplir sans sacrifices. C'est souvent nécessaire.

Je me glisse une gorgée de thé sous la langue pour fluidifier mon discours.

- Vous dites néanmoins qu'il y a eu un résultat positif. Mais vous ne garantissez pas d'en maîtriser encore tous les aspects si j'ai bien saisi. Une avancée minime. Mais un progrès tout de même. J'imagine qu'il vous faut plus de temps… Une chose difficile à obtenir quand on est un homme traqué.
(Un bref silence). J'ai compris que vous aviez trouvé protection auprès du Seigneur Motomatsu ici présent. Je gage qu'à présent grâce à lui vous avez une meilleure visibilité à moyen terme. Permettez moi cependant de vous interroger, puisque je cherche des informations et qu'il semble que ce soit en mon pouvoir.

J'esquisse un sourire charmant ce disant. Comme si je venais de lui lancer une petite pique amicale quand je n'éprouve pour lui qu'un profond mépris teinté d'une frange d'incertitude quand à son comportement. Cet homme est visiblement un savant de premier ordre, alors pourquoi fuir notre société ? Son retrait est une insulte. Est-ce notre système qui serait mal adapté ? Cette interrogation impertinente ne le rend que plus irritant à mes yeux. Il est très possible que je sois transparente à ses yeux. Je ne suis pas une experte des masques comme un certain samouraï de ma connaissance… Alors je décide de laisser pointer une partie de mon ressenti pour mieux dissimuler le reste.

- Je serai franche. Qu'est ce qui, malgré les risques, malgré l'oppobre, malgré les faibles chances de succès, vous a poussé et vous pousse encore maintenant à défier un ordre de l'empereur pour continuer vos recherches ?

Les traits d'Izawa devinrent subitement moins agréable. Son regard se plongea dans celui de la jeune suzeraine. Cette dernière avait dit des mots qu'il ne fallait pas. Au point qu'Akihiko voulut se mêler à la conversation mais fut stoppé par la main du vieillard. Un tic nerveux, surement d'énervement apparut sur le bas de la bouche du sorcier qui se mit sur ses jambes brusquement, ce qui ne le mettait pas bien haut par rapport aux deux jeunes gens.

"Un ordre de l'empereur ? ... un ordre de l'empereur ... un ordre de l'empereur, hein ?"

L'homme s'approcha de la porte pour appeler Misami au pas de la porte de sa grotte. L'homme sortit un papier de sa besace et se le vit arraché des mains par les petites mains d'Izawa. Sans la moindre politesse, particulièrement énervé, il congédia l'ancien magistrat d'un simple grommellement de rage. Il déplia le document avant d'afficher un sourire mauvais sur son visage, une grimace sournoise selon laquelle il savait qu'il tapera où ca fait mal.

"Parlons d'ordre, Hashimoto-sama, si j'en crois ce que j'ai devant les yeux c'est votre sceau, approuvant la commande de soldat qui ne sont pas forcément sous la gouverne de samurai. C'est clairement un appel à l'aide auprès de ronin, n'est ce pas ? C'est votre sceau, c'est donc un de vos ordres n'est ce pas, Hashimoto-sama ? Les ordres sont tellement facile à contrefaire, à influencer, n'est ce pas ? Cet ordre n'a même pas eu besoin de passer par chez vous. Magique n'est ce pas ?"

Il pose l'ordre sur la table avant de se retourner, de réfléchir fortement comme s'il essayait de contenir sa colère mais celle ci est particulièrement difficile à contenir, Tokiwa le sent. Comment savoir ce qu'un sorcier de ce calibre pourrait faire par colère ? La prudence était particulièrement de mise. D'une voit tout de suite moins nasillarde et au combien plus vexée, il reprit la parole, ses joues ridée ayant rougi par les émotions.

"L'empereur, n'a jamais donné d'ordre, ce sont ces conseillers, des ignorants, des crétins, des incultes, des ... des ... des imbéciles jaloux. J'ai été ordonné par l'empereur de lui fournir des samurais au coeur et au corps plus fort que l'acier, vivant plus longtemps, au capacité physique digne des plus grand guerriers. J'ai été présenté devant lui PERSONNELLEMENT ! Je ne prends d'ordre que de lui, pas de papier ridicule ou encore de larbin jaloux. Lui seul est l'élu des kamis, lui seul peu voir la grandeur de mon travail"

Les sens affutés de la samurai, dopés par le sentiment de menace qui s'échappait de l'aura du vieillard, virent la main du maitre Corbeau se rapprocher de son sabre. Pourtant ce n'était pas la suzeraine qu'il regardait, c'était bien le sorcier qui était poussé dans son discours haineux et à moitié sensé. Mais bizarrement, après avoir terminé sa tirade et quelques secondes où les anges sont passé avec une très grande crainte. Il se reprend, plus vexé qu'énervé au final.

"Seul l'empereur peut voir la grandeur de mon travail. Je ne sais pas pourquoi j'espérais qu'une daimyo de province puisse comprendre mon travail. Une fois que vous aurez fini votre thé je ne vous retiens pas. Vous pourrez retourner à votre petite vie sans intéret. Moi j'ai encore du travail à faire; j'apprécierai de ne pas être dérangé"

Le changement électrique et soudain d'ambiance m'interloque. Je dois bien admettre que la colère noire du vieux à quelque chose d'effrayant. Mais je ne me laisse pas démonter pour autant. Sans doute par ignorance de ce qu'il peut convoquer. Et c'est ce qui me permet de conserver mon calme.

Je tique néanmoins lorsqu'il appelle à nouveau l'un de mes "loyaux dévoyés" qui s'exécute comme un larbin sans honneur. Un ordre contrefait ? Je fronce les sourcils. Un instant de stupeur me noue la gorge. Je comprends maintenant mieux comment les choses sont manipulées par ici… Tromperie, duperie, pourquoi je ne suis pas surprise.
Et puis tout dérape, il m'insulte, m'agace et se regorge encore plus sous sa verve de cacochyme furax. Comme un poulet qu'on aurait excité. Je subis l'assaut de plein fouet mais je suis assez tenace pour rester maître de moi. Et puis, je l'ai cherché. Voir qu'il se maîtrise aussi peu en dit long sur ses capacités en tant que "scientifique".

Alors lorsqu'il achève sa tirade. Je me lève lentement, attrapant mon sabre par la main sans pour autant faire mine d'être menaçante.

- Il est certain, dis-je d'une voix trempée d'acier froid, que vous supportez mal qu'on s'intéresse aux détails de votre affaire.

Mine de rien je suis plutôt en rogne moi aussi, la différence c'est que je sais me conduire. Cet homme ne connaît définitivement plus sa place. Il s'imagine être au-dessus de tous. Comme un égal de l'empereur ! Ce simple fait suffirait à le condamner à mort. Je n'ajoute rien, tourne les talons et me dirige vers la sortie de la grotte où patientent toujours ces faux magistrats. Ces hommes en qui j'avais toute confiance et qu'on a détourné par de simple papiers contrefaits ?
Je n'ai pas un mot pour eux. Pas un regard. Je traiterai leur cas plus tard.

Ce que je comprends, c'est que mon honneur est brisé. Rendu caduc par les manigances de ce vieillard qui s'est octroyé mon identité. Mais s'il est facile de contrefaire des documents officiels, d'imiter mon écriture et de falsifier mon sceau. Alors il m'est tout aussi aisé de rendre toute ça nul.

Alors que j'émerge au dehors, je réalise qu'il me faudrait plusieurs longues minutes pour récupérer mon armure. Je ne peux de toute façon pas vraiment quitter les lieux dans cette tenue. Je ne peux pas chevaucher et il n'y a évidemment pas de chaise à porteurs dans les parages… l'inconvénient des trous à ermites.

Alors que la jeune suzeraine sort de la grotte, elle est assaillit par cette atmosphère lourde de foret humide qui était si oppressante toute cette journée. Néanmoins, la tenu moins lourde et surtout moins étouffante rendait cela plus respirable ... enfin moins désagréable. Mais Tokiwa avait assez bien cerné le problème qui se posait à elle : Comment partir alors qu'elle avait laissé son armure à l'intérieur et qu'elle n'était pas en tenue pour partir à cheval. Un problème certes ennuyeux mais pas forcément handicapant. Dehors, les magistrats déchus, étaient toujours autour de leur campement de fortune. Ils étaient en train de préparer leurs armes, les entretenir et ce malgré leur déshonneur. Malgré les quelques fois où ils tournent leur tête pour voir leur ancienne maitresse, ils évitent par dessus tout de croiser son regard, retournant à leur tache tranquillement. Cela faisait longtemps que ces hommes étaient là, en train de camper alors que leur rang leur aurait normalement permis de vivre de manière confortable sous le nom des Hashimoto.

"Alors comme ca on part sans sa précieuse armure ?" dit une voix derrière Tokiwa, la voix de Akihiko

Celui ci sortait en tenant la cuirasse comme il le pouvait. Il la posa sur une pierre avant de continuer son chemin sans même la regarder. Toutefois, une sorte d'amusement se lut dans la voix du Maitre Corbeau. Il faut dire qu'il avait assisté à une scène plutot intéressante dans la grotte.

"Je suis étonné d'ailleurs que vous ayez osé parler de l'ordre impériale à Izawa-sensei. Vous avez eu de la chance, il aurait pu vous faire du mal dans cet endroit ... peut être que de savoir que ses recherches peuvent aboutir plus rapidement que prévu l'ont adoucies. Ca m'aurait tout de même déplut d'avoir à le neutraliser"

Neutraliser, un terme plutot bizarre dans la situation présente. Akihiko pensait il pouvoir controler le vieil homme avec quoi ? Tokiwa pouvait en être sûre, le vieillard, pendant sa crise, était à deux doigts de devenir une menace, et les recherches qu'il entreprenait avait de grande chance de s'accompagner de puissant sortilèges. Certes Akihiko avait réussi à neutraliser la jeune suzeraine par une technique plutot bizarre d'hypnose ou d'envoutement, mais cela marchera-t-il contre l'ancien ?

Laissant disparaître mes mains dans mes manches, j'avance la lèvre inférieure sous une mimique pensive. Les paroles du Corbeau méritent réflexion, il est vrai.
Je me retourne avec un air pénétré (mais pas forcément pénétrant).

- Je pensais à quelque chose Motomamatsu sama, dis-je à brûle pourpoint. Les enlèvements qui ont eu lieu autour du village de Hi-Jal, les ronins de la forêt… tout ça n'a rien à voir avec les expériences de votre maître n'est-ce pas ?

Je baisse les yeux un bref instant, morcelée quand même par le doute. Après tout, le dénommé Izawa a bien prétendu contrefaire des ordres émanants de ma personne pour requérir des rônins. Oui mais non ! Je claque des doigts. Détail capital, ces rônins s'opposaient à Misami, lequel travaillait pour Izawa.
Puis je secoue la tête.

- Alors qu'est ce qu'il se passe ici ? Seraient-ce les chimériques "Traqueurs Silencieux" qui se rapprochent de leur proie ? Vous savez, je n'ai aucune raison de changer de position. Surtout maintenant. Votre maître est peut-être très puissant mais je ne cèderai jamais sous la menace.

Avec un sourire sans joie, aucune.

- Vous le savez bien. M'aurait-il tuée, affreusement mutilée ou même dénaturée dans cette grotte que ça n'aurait rien changé à sa propre situation. Un homme talentueux… sait distinguer une action profitable d'un coup de sang vain. Et telle que je la vois, sa situation pourrait bien empirer. Enfin, quoiqu'il en soit, il n'aurait rien à gagner à me sacrifier sur un coup de tête… Je me demande tout de même ce que vous, vous pensez accomplir ici. Après tout, vous aussi, Motomatsu sama, vous défiez le même ordre impérial.

Je hausse les épaules. J'ai sans doute appris au moins une chose dans cette grotte : il faut ménager les vieilles personnes. Surtout quand, comme celle-ci, elles sont un peu imbues de leur propre talent. Mais n'est-ce pas mon cas aussi ? Malgré ma situation peu reluisante, mes échecs, mes écarts, je plastronne. Je reste fière et arrogante.

Je regarde piteusement mon armure entassée dans l'herbe humide. C'est pareil pour moi. Je suis en petits morceaux, désolidarisée et bien mal lotie. Bon, qu'est ce que je fais maintenant ? Je retourne me changer ? C'est malin…

Akihiko écoute les interrogations de Tokiwa toujours avec autant d'assurance, comme si lui savait tout ce qui se passait autour de lui. Peut être le savait il vraiment ce qui serait tout de même sacrément fort, même pour un Corbeau. Tokiwa le savait, il était impossible de tout prévoir, il y avait toujours des zones d'incertitudes qui brouillerait les calculs de n'importe quel stratège. C'est avec un visage néanmoins rassurant qu'il répondit à son interlocutrice alors qu'il lui indiquaient des pierres pour s'assoir et discuter à l'abri des oreilles indiscrètes. Quoique "rassurant" n'était pas totalement exact, sa voix était apaisante. Peut être était ce un effet secondaire de ce silence n'étant seulement troublé par le clapotement de l'eau qui passe à coté de la caverne.

"Je comprends qu'il y a des choses qui vous intrigue. Et je pense que je peux répondre à quelques unes de ces questions, mais j'aimerai juste que vous prenez conscience de quelques notions auxquelles il faudrait vraiment faire attention. La première notion à savoir, c'est qu'il n'est pas vrai que Izawa-sensei soit mon maitre. En fait, il mérite ce titre parce qu'il fut jadis l'un de mes professeurs. Cela remonte à loin mais n'ayant pas encore dépassé son niveau, je préfère qu'il me considère toujours comme son disciple, cela l'amadoue un peu, il est plus calme et surtout plus disposé à écouter quand je le parle. Dire qu'il est mon maitre pourrait vous attirer des ennuis, mais je ne vous en veux pas, soyez rassurer"

En effet, sachant pertinemment que Izawa était un traitre, et en l'appelant "maitre" de Akihiko, Tokiwa avait sous entendu une coopération entre un juriste ayant été certifié par la famille Impériale elle même et un traitre à l'empereur. Une accusation qui pouvait très mal finir pour une suzeraine de petite famille comme celle des Hashimoto. De facto, heureusement que le ton de Motomatsu était apaisant car il aurait pu être affreusement gênant.

"Pour ce qui est des enlèvements, j'avoue que je ne peux pas être sûr de son implication direct, mais indirectement, il est sûrement impliquée. Je le sais parce que les personnes enlevées étaient jadis dans les cages que vous avez vu. Il a clairement fait des recherches sur eux. Mais la manière dont il les a kidnappé ... là j'avoue que je n'en ai pas la moindre idée. C'est d'ailleurs un point qui m'intrigue et qui me pousse à être prudent"

Pourtant Tokiwa avait senti que le vieil homme ne manquait pas de ressources magiques. Il avait donc surement un sort ou deux pour capturer une personne. Toutefois, la discrétion était elle possible pour le vieillard. Lui qu'une simple remarque peut faire entrer dans une colère dangereuse pouvait il avoir la patience, la méthode ou encore seulement l'envie d'user de subtilité pour un tel crime ?

"Enfin, ma motivation ... N'est pas forcément facile à déceler ou encore expliquer. Disons que j'ai toujours suivi Izawa-sensei, ou du moins sa piste. C'était facile pour moi ayant cotoyé le personnage pendant quelques temps. Pensez bien que vous n'êtes pas la première a l'avoir repéré dans ses escapades mais à chaque fois il a réussi à s'enfuir malgré les troupes qui le traquaient. A chaque fois qu'il s'échappe il ne se laisse pas vraiment les lieux ... "intactes" si on peut dire. Je me suis donc dit que la méthode pour controler Izawa n'était pas la force mais plutot une sorte de subtilité. J'ai vu que son chemin passait par Hi-Jal, région potentiellement éloignée de grandes agglomérations, assez proche de sa destination finale pour qu'il réfléchisse à y rester, et surtout sur des terres que je connais et sur lesquelles j'aimais me balader. J'avais aussi envie de rencontrer une ravissante daimyo à l'allure guerrière mais aussi digne qu'une dame de la cour comme on aimerait en voir plus souvent. L'aubaine était trop belle pour ne pas en profiter. Mais pour que le plan fonctionne il me fallait votre consentement à m'aider à ralentir la fuite de Izawa-sensei. Bien évidemment votre consentement ne serait pas gratuit et je me suis dit, connaissant le talent de Izawa, que vous permettre d'enfanter pouvait être une chose qui vous ferait réfléchir, à vous tout comme à vos hommes. Après je pouvais me tromper mais cela n'est pas important à l'heure actuel"

Sacré révélation de la part d'une personne qui n'avait jamais dit la vérité depuis la rencontre entre lui et Tokiwa. Mais avait il véritablement menti ? A chaque fois il avait donné une réponse partiellement vrai. Plus vrai qu'un comploteur ne l'aurait fait. Il avait omis des détails, certes, mais Tokiwa pouvait elle le lui reprocher ? Il avait sa tache à faire, une tache certes plutot incongrue est, si son histoire était vrai, il avait manqué à certains protocoles. Mais le manque de protocole n'était pas un crime en soit, c'était légèrement déshonorant. Ce déshonneur, son rang le lui accordait presque car tout seigneur qu'elle était Tokiwa devait allégeance au sceau Impérial et à toutes personnes portant ce sceau. Une histoire complexe expliqué de manière complexe par une personne complexe. De toutes évidences les Corbeaux ne sont pas des personnes facile à cerner

Je bascule légèrement la tête en arrière et prend une profonde inspiration par le nez. Il me faut bien quelques clignements de paupière pour assimiler ces nouvelles informations. Akihiko agirait d'avantage pour surveiller que par dévotion ? Ralentir la fuite d'Izawa pour mieux cerner ses activités ? Voilà qui jette une nouvelle lumière sur l'affaire. Une lumière bien plus contrastée, avec des nuances que je ne soupçonnais pas jusque là.
Si l'on passe outre les flatteries mondaines, il est quand même assez logique que tout aboutisse sur un territoire sans importance. Un petit fief niché parmi d'autres. Un endroit où, à la rigueur, on ne s'offusquerait pas d'apprendre qu'il y a des troubles, de l'instabilité et de la gestion un peu légère.

Je détourne les yeux et, sous l'effet de la réflexion, me mordille le gras de l'index. Et qu'en est-il des bandes armées dans les bois autour de Hi-Jal ? Si Izawa se sustente effectivement sur la population locale, pourquoi utiliser des rônins ET contrefaire un de mes ordres. J'ai l'impression qu'il me manque encore des éléments.

Je pivote sur un pied pour mieux faire face au Corbeau. Une expression étrange passe sur mes traits. Un mélange de calcul et d'impulsion immédiate.

- Hu… je vous ai mal jugé après tout Motomatsu sama. Mais il semble que ce soit votre cas également. Je ne suis pas à vendre. Ni mon honneur, ni mon devoir. Si une tâche me semble juste et nécessaire alors je l'accomplis, sans attendre de rétribution en échange. N'est-ce pas la raison de tant de privilèges qui nous sont accordés ? Nous n'avons pas besoin de rétribution supplémentaire.

Cet endroit commence à me filer la chair de poule. Songer que des gens ont été traînés ici de force pour subir des expériences impies… Détournant la tête de côté, je me masse l'épaule pour soulager une courbature.

- Bien sûr, étant donné les circonstances particulières, je conçois que vous n'ayez pas choisis la voie officielle pour requérir mon assistance. D'ailleurs, si je n'étais pas venue ici, je n'aurais jamais pu me faire une idée précise de ce que signifient ces expériences. Alors nous sommes en marge de la loi, les règles sont différentes quand on franchit certaines limites. Néanmoins…

Je marque une petite pause pour m'humecter les lèvres. Je voudrais pouvoir m'agenouiller et me prendre la tête à deux mains pour mieux penser. Je voudrais arracher méticuleusement chacun des brins qui tissent cette toile incompréhensible pour m'en dépatouiller. Je voudrais pouvoir tirer quelques ficelles… Mais je suis debout au bord de l'eau avec pour seule assistance, la parole d'un homme dont je ne connais que deux choses : le goût de l'intrigue et les pouvoirs surnaturels.

- Je me demande quand même… (je fronce les sourcils). Pourquoi je ne devrais tout simplement pas faire exécuter cet homme. Il me faut des raisons Motomatsu sama, pas des pots-de-vin.

Je pourrais peut-être le froisser en sous entendant qu'il a tenté de me corrompre. Mais il ne peut pas nier que ce n'était pas le cas. Et pour ma part, je pourrais être furieuse qu'on mette ainsi en doute l'intégrité d'une samouraï du Lion. Mais je sais que rien n'est aussi solide, absolu et droit qu'on voudrait le faire paraître.

L'exécuter, une idée qui pouvait paraitre simple et expéditive, en particulier pour les samourai du Lion. Il faut dire aussi que les histoires de de ce clan ne manque pas de narrer les exploit de certains membre de leur clan qui, même en sachant qu'ils avaient tord et qu'ils étaient au centre d'une machination diabolique, se faisait le seppuku. D'ailleurs en ce qui concerne les manipulation diabolique, dans ces histoires, ce sont souvent des samourais du Corbeau. Mais contrairement à ce que les histoires raconte, le représentant actuel de ce clan de fourbe, Akihiko, n'était pas le méchant aux yeux malveillant et sournois. C'était un jeune homme intelligent, charmant et souriant de toutes évidences. Il ne sourcilla même pas à la demande de Tokiwa, et ce malgré la question particulièrement intelligente de la suzeraine.

"Vous pourriez l'exécuter, bien évidemment, mais la véritable question est : pourrez vous tuer Izawa-sensei ? Un bon stratège est un homme qui ne remet pas sa futur bataille entre les mains du hasard. Je n'ai jamais vu Izawa se battre mais quelqu'un qui survie aux Traqueurs Silencieux, si ce sont bien eux, est au delà de mes compétences d'assassins"

La question de Akihiko était certes une petite pique dans les capacités de Tokiwa de s'enflammer et à vouloir s'attaquer à un ennemi sans pour autant connaitre ses capacités ou d'émettre d'hypothèse sur ses capacités de combat. Mais c'était une pique gentille, la suzeraine en était certaines parce qu'il aurait eu toute latitude pour tourner la lame dans la plaie. Mais Akihiko semblait assez bavard pour continuer à disserter avec son interlocutrice, peut être est ce pour la convaincre, peut être est ce pour embrouiller encore plus les réflexions de cette dernière.

"D'autant que je ne suis pas un assassin mais un juriste, je n'aime pas tuer les gens, je n'ai nullement besoin d'avoir la réputation d'être un tueur de traitre pour bien faire mon travail. Et puis si l'Empereur a ordonné des assassins pour les mettre sur ces traces, ils arriveront un jour ou l'autre ici et je m'en voudrais de leur piquer une tache détachée par l'empereur lui même. Et si pendant ce temps Izawa découvre enfin un moyen de finir ses recherches avec succès, je pourrais dire que c'est un peu grace à moi, une petite récompense en soit"

Un éclair d'ambition avait percé à travers ce masque de mystère. L'ambition ... un trait que Tokiwa portait aussi en elle mine de rien. N'est ce pas elle qui tente de faire rayonner son clan une dernière fois avant de disparaitre. Pourtant beaucoup de samourai n'aimaient pas laisser percer un tel trait, il était plutot mal vu dans une société où cette même ambition conduisaient à des fautes d'honneur. Etait ce une sorte de preuve de confiance ou une erreur de sa part ? Encore une fois, il était impossible de le savoir.

Je pivote sur une sandale et laisse voir mon profil soucieux, un sourcil froncé sous un mélange de réflexion et de sévérité. De quel bord est Akihiko exactement ? Lui-même ne répondrait sans doute pas avec clarté alors il est inutile de lui poser la question.
A l'évocation de ses talents d'assassin, ma main gauche se contracte involontairement. Je ressens une légère pulsion, juste là où le Corbeau m'a entaillé avec une légèreté totalement obscure. Il n'a peut-être pas tort. Je laisse glisser mon regard sur les reliefs nacrés de mon armure entassée au sol. Si les talents guerriers ne valent rien, alors qu'elle signification donner aux expériences d'Izawa ? En créant une nouvelle génération de combattants parfaits, il rend caduque la valeur et une partie de la raison d'être des samouraïs. Une grande partie…

Je pousse un murmure et laisse évaporer tout ça dans un soupir.

- D'accord, vous avez sans doute mis le doigt sur quelque chose, je l'admets. Mais Motomatsu-sama –je relève soudainement la tête et le fixe droit dans les yeux- que pensez vous des paroles du vieil homme selon lesquelles les assassins n'ont pas été mis à ses trousses par l'empereur lui-même ?

C'est un aspect délicat de l'affaire. Un ordre de l'empereur est comme une volonté divine, je n'envisagerais même pas une seconde de m'y opposer. Aucun Lion digne de ce nom ne le ferait. Akihiko le sait aussi bien que moi. Alors s'il veut me convaincre de participer à cette folie, il me dira sans doute que l'empereur n'y est pour rien. Et là je me méfierai.
S'il me répond qu'il n'en sait rien… alors j'aurais sans doute plus de raisons de le croire sincère. Mais s'il me répond tout autre chose ?

Et bien j'improviserai.

La question était bien délicate, comme le sentait Tokiwa, mais une question aussi délicate soit elle, Akihiko avait très bien pu la prévoir depuis longtemps. Bien entendu ce n'était nullement une question piège, à part pour une personne totalement ignare dans l'art et la manière de maintenir le controle sur la conversation et surtout l'argumentaire. De plus, Tokiwa savait que son interlocuteur maitrisait totalement les émotions qu'il laissait filtré sur son visage ... du moins presque totalement. C'est donc sans la moindre réflexion préalable que le Juriste du Corbeau lui répondit, comme une philosophe enseignant à son élève.

"Je pense qu'il y a bien eu un ordre avec le sceau impérial imposé dessus. De là à savoir si l'ordre d'assassinat émane de l'empereur en personne, j'avoue que je n'en sais rien. Toutefois, Izawa-sensei n'était jadis pas sans un certain soutien à la cour. Si un ordre d'assassinat à bien été promulgué et que cet ordre n'a pu être contré cela signifie que soit l'empereur lui même à ordonner la mort du vieil homme, soit que la personne qui a promulgué l'ordre et tamponné du sceau impérial dispose de moyen de pression bien assez important pour que baillonner les amis du vieillard ... ou encore, cela pourrait être les amis du vieillard, excédé de le voir s'approcher d'une position trop puissante à leur gout ... ou pire encore, ce pourrait être des samurais ayant peur que les recherche d'Izawa-sensei ne mette fin à leur vie de privilège"

En l'espace de quelques secondes, il avait trouvé plus de trois raison au mystère qui entourait cette affaire. Soit Akihiko était très fort et bien préparé, soit il avait un véritable talent pour l'improvisation. Mais dans tout les cas, il était totalement impossible de savoir s'il était d'un coté ou de l'autre. Quoiqu'en y réfléchissant bien, il avait réussi à garder une neutralité particulièrement sûre dans cette affaire. Pouvait on lui reprocher de ne pas avoir tenté de tuer Izawa Noritaka, lui dont le passage à laisser sa marque des contrées bien plus armées et surtout peuplé qu'Hi-Jal ? A sa manière, il a mené à le stopper, non pas par la force, mais par la ruse. Foutus juristes impériaux, ils sont calculateurs et d'un sens de la stratégie politique assez bonne pour se sortir de la situation quoiqu'il se passe !

"Mais quand bien même l'empereur serait l'auteur de cet ordre, pensez vous être capable de neutraliser Izawa-sensei ?"

Une question qui revenait comme un boomerang. Une question que la jeune suzeraine avait tenté de passer sous silence tout à l'heure, comme si elle voulait ne pas y penser, usant de la pensée magique pour occulter le fait qu'à cet instant elle était seule. Loin de ses hommes, loin de ses serviteurs, loin de son chateau, loin de ses responsabilité. Une question qui ne s'adressait donc pas à l'héritière de la famille Hashimoto, mais peut être à la femme guerrière qui tente de remplacer l'inconnu de la situation par une destinée tracé par l'empereur et les kamis. Cela aurait pu être le cas, en effet, si ce n'avait pas été Akihiko qui posait cette question. Depuis le départ, il semble bien plus intéressé par ce qu'il y a en dessous de l'armure de Tokiwa. Non pas le corps de la jeune femme car, de toutes évidences, il le connaissait assez bien pour lui trouver un kimono à sa taille. C'était la Tokiwa qui était caché sous l'armure de responsabilité et de réputation qu'il voulait voir.

A question compliquée… réponse habile de la part du juriste. Je n'en attendais pas moins d'un homme qui a été capable de m'abuser au point de me séparer de tout moyen de contrôle sur mes terres. Y compris le simple et banal déplacement d'un endroit à un autre… puisque je suis en furisode et donc incapable de traverser les chemins boueux. Et le tout sans user de plus de menace que celle de quelques mots assortis d'effets de manche. Une entaille au doigt, ce n'est pas cher payé pour faire plier le genou à une Daimyo. Et en plus ce n'est même pas son index qui a saigné.

Est-il donc si simple de coincer un samouraï ou bien est-il trop talentueux pour moi ? J'aimerais bien répondre par la première affirmation mais je n'aime pas plus mentir que de me retrouver au bord d'une rivière avec un choix cornélien sur les épaules.

- Et bien, commencé-je d'une petite voix. Celle que prendrais une apprentie, une élève et non pas une dirigeante audacieuse.

Je me racle la gorge, irritée de ma faiblesse et tâche de reprendre un peu de souveraineté.

- Neutraliser Izawa, ce serait mon devoir s'il est effectivement tenu à l'arrêt par un sceau impérial. A partir de là, la question de savoir si je peux ou non le stopper ne se poserait même pas, vous le savez aussi bien que moi. Alors je suppose que vous voulez dire, "réussir ou mourir en essayant", est-ce que ça en vaut la peine ? Est-ce que c'est bien là ce que l'on attendrait de moi ? Est-ce que ma mort ou celle du vieil homme assainirait l'empire ?

Sans mon armure, je me sens moins imposante. J'ai dans la posture cette petite contrition qui enlève toute crédibilité à mes propos guerriers. En société, c'est solennel mais là… c'est juste inadéquat.
Effectivement, je pourrais tenter de retourner dans la grotte, fourbir mon sabre et attaquer ce scientifique fou qui m'a insultée. Je pourrais le faire pour de nombreuses raisons. Mais surtout, je le ferai sans aucun doute si je considérais que sa mort apporterait plus de bien que de mal. C'est la voie du samouraï.

Mais à ce propos, Akihiko a révélé dans ses dernières phrases une idée qui me met mal à l'aise. Le règne des bushis, les privilèges. Je ne suis pas idiote, je sais que les manigances de cours se font souvent pour protéger les arrières de quelques pontes. Les luttes d'influences sont précisément ce qui me tient éloignée du trône de Jade. Je n'ai aucun talent pour les joutes en coulisse et je ne tiens pas à me mêler de ces guerres intangibles.

Je me tourne vers la rivière, dos au Seigneur Corbeau.

- Vous voulez sans doute dire que votre méthode est la plus sage. Pas la confrontation directe mais l'assoupissement lent et méthodique de la menace que pourraient représenter les déviances de ces expériences contre-nature. Et dans le même temps, laisser courir les choses pour ouvrir des possibilités. La possibilité qu'une de ces expériences réussisse et donne le jour à nouvelle caste de guerrier qui bouleversera l'ordre établi. Un chemin de traverse en somme, vous temporisez avec la loi sans l'enfreindre.
Je dois admettre que vous êtes sans aucun doute très adroit dans cette discipline Motomatsu sama. Mais ce n'est pas mon cas. Je…

Je baisse la tête, laissant les mèches longues me caresser les joues.

- Disons que telle que je suis, j'agirai sans détour. Si vous savez ça, alors vous avez tout intérêt à me neutraliser. C'était bien vu de votre part. Et prévisible de la mienne, j'en ai peur.

Je relève la tête et fixe un point imaginaire devant moi, entre deux arbres tordus par l'âge et les circonvolutions étranges de leurs troncs.

- Mais il ne sera pas dit que je suis de celles qui se réfugient derrière les codes et les façades pour se trouver des excuses. Je n'agirai pas à l'aveugle. (Un sourire mesuré). Dites-moi Motomatsu sama, si j'ai bien entendu, tout à l'heure le vieil homme a évoqué une avancée spectaculaire. Un specimen ? Savez vous de quoi il s'agit ? Avons-nous un moyen de nous en assurer le contrôle ?

Je ne cache pas mes intentions, ce serait en pure perte face à lui. Si nous détenons la création, alors nous avons un ascendant sur le créateur. Ça me paraît aussi simple que ça. Je n'ai pas l'intention de retourner dans la grotte mais je pense que le Corbeau et moi pouvons trouver un intérêt commun dans la recherche de ce résultat d'expérience.

Alors que Tokiwa terminait sa phrase, une ombre apparut en bas à droite de sa vision, attiré forcément par cette ombre, elle l'identifia très vite comme étant le visage de Akihiko arborant un sourire intéressé et légèrement songeur. Que faisait il penché ainsi, fixant le regard de la suzeraine en contre plongée, avec une parfaite vision sur son visage surpris de cette dernière ? Comme première réponse à cela, le juriste produit un "Hmm" comme s'il venait de trouvait quelque chose avant de se relever et de pointer son doigt au milieu des yeux de son interlocutrice.

"Dites moi, Hashimoto-san, ne serait ce pas une idée de stratégie que je vois germé pile là ? Avouez que vous vous amusé à les cacher derrière votre joli visage pour que personne ne les remarque, sournoise que vous êtes"

Le ton employé était devenu tout de suite détendu et surtout totalement décalé. Cherchait il à troubler encore les esprit de la jeune suzeraine ? En tout cas cela ressemblait à un compliment et ce n'était que très légèrement caché, à croire que les Corbeau ne pouvait faire preuve de gentillesse ouvertement.

"Et pour répondre à votre question sur ce spécimen, il s'agit d'un des ronins qui fait parti du groupe de ronins recrutés pour se débarrasser des "expériences loupées". Ceux ci se sont frotté à elles et ont obtenus la victoire. Le ronin en question semblait user d'une technique corps à corps projetant de l'énergie dans ses coups, une énergie étant l'antithèse de celle des expériences. Je n'ai pas pu voir le visage de cet homme de près mais il ne doit plus être très loin d'Hi-Jal à présent. Toutefois, en ce qui concerne le controle de ce ronin ... ce n'est pas de mon ressort mais du votre"

Le petit haussement d'épaule de Akihiko, allié à son sourire en coin, laissait parfaitement transparaitre son avis. Celui disant bien que lui n'était pas vraiment sensé être là et que, même s'il avait le soutiens de la famille impériale, il n'avait clairement pas à prendre de décision sur l'avenir que voulait suivre la suzeraine. Toutefois, cela semblait lui faire plaisir que la dame Hashimoto, clairement là pour faire régner la justice sur ses terres, avait repris un peu de confiance en elle et continuait de chercher des solutions à la crise qui soulevait son territoire.

Je réfléchis, noyée dans les abîmes d'une réflexion intense. Je cogite, je trace des plans à main levée, je fais ma maligne et d'un coup, je sursaute ! Un mouvement de recul, les sourcils en arc de cercle et les yeux ronds comme des billes ; encore une figure mémorable pour la galerie de famille Hashimoto…

Akihiko… je pourrais lui demander pourquoi il fait son paltoquet d'un coup. Je pourrais aussi chercher des explications plus profondes à propos de ce ronin étrange ou sur d'autres aspects de l'affaire. Mais pour le moment, ce qui me fait réagir d'un ton pincé avec l'équivalent mental d'un crissement d'ongle sur une pierre d'ardoise, c'est un détail.

Une simple syllabe mais qui change tout.

- S-san ?

Mes épaules se hérissent. La seule personne de ma vie qui m'ait jamais appelée comme ça, c'est ma nourrisse. Et c'était avant que je porte le sabre et mon nom d'adulte. L'époque où j'étais juste Kamiko. Kamiko la naine, la gamine, la fillette protégée dans le cocon familial. Avant que tout ne s'écroule…

Replonger d'un coup dans ce bain de souvenirs tranchants me fait l'effet d'un seau d'eau froide le long de la colonne vertébrale. C'est comme sortir sur la terrasse par un matin frais et recevoir une unique goutte sur la nuque, grasse et glacée, juste de quoi donner des frissons tout le long de l'échine et crisper les dents.

C'est donc dans un état d'extrême tension que je regarde le visage matois du Corbeau. Emboutir les conventions et les principes semble être une sorte de passe-temps chez lui. Personnellement j'en ai un autre mais ça se passe au bout de mon sabre.

Pour masquer maladroitement mon trouble évident, je siffle entre mes dents. Ça ne marche pas très bien.

- Sournoise moi ? Je cherche juste à m'assurer que les choses n'échapperont pas à tout contrôle. Exactement comme vous en fait Motomatsu sama !

Je m'énerve juste assez pour me ridiculiser. Je vire pivoine, je fais une tête de grue, je me racle la gorge. Puis, comme je suis une femme bien élevée, je me drape dans mon indignité.

- C'est assez simple. S'il y a un spécimen en liberté, je dispose des ressources nécessaires pour le capturer. Vous avez l'habitude des intrigues. Pour ma part, mon domaine de prédilection, c'est le terrain. Si un tel danger est sur mon territoire, alors le Lion part en chasse ! Mais pour ça, il me faut ma liberté de mouvement. (Je désigne le petit tas nacré à mes pieds d'un air défiant). Et donc… mon armure.

Ce n'est pas tellement que j'ai envie qu'il m'aide à revêtir ma cuirasse mais en la circonstance… je ne vois pas vraiment comment faire autrement. Et puis pour une fois, ça le déstabilisera peut-être un peu, lui. Dénouant deux ceintures de soie rouge, je me tourne à nouveau de dos en écartant largement les bras pour qu'il attrape la première couche du Furisode.

- Cependant, il y a une chose que je ne comprends pas… pourquoi un ronin serait un résultat d'expérience si votre Izawa n'a même pas expérimenté dessus ? Cette alchimie serait-elle contagieuse ?

"Vous ai-je ordonné quoique ce soit si ce n'est d'être calme ? Votre liberté de mouvement, vous l'aviez dès votre arrivée dans ce camps. C'est la curiosité allié à l'honneur qui vous empêchait de bouger"

Loin de troubler Akihiko, celui ci affiche plutot un visage ravi que Tokiwa lui fasse assez confiance pour lui offrir l'occasion de l'aider. C'était un autre pas vers la confiance qui ne déplaisait guère au Corbeau. D'autant que pour mettre l'armure, il verrait la peau d'albâtre de la suzeraine. Ses mains délicates se glissèrent tout d'abord sous le col de la jeune femme effleurant à peine sa peau. Il fit alors glisser le Furisode le long du corps de dame Hashimoto. Le temps sembla se stopper alors que la jeune chef de famille semble sentir un vent dans sa nuque. Ne pas voir le maitre Corbeau avait quelque chose de quelque peu grisant et nul doute que l'homme le savait. Une fois que l'étoffe était tombé sur le sol, une parole chuchotée arriva à l'oreille de Tokiwa.

"Objectif atteint"

Tel était les mots d'Akihiko, à peine susurrés, histoire de bien coller à l'ambiance. Son ton était mutin, surement amusé de la situation et surtout content s'observer les frêles épaules blanches et la magnifique silhouette de ce qui aujourd'hui aurait pu être sa femme. Le sentiment de fragilité de la jeune femme était d'autant exacerbé par le fait qu'elle était de dos à la personne qui, elle, pouvait s'amuser à entretenir ce sentiment de domination sur elle alors que toute armure était tombée. Elle put même croire avoir senti une plume la chatouiller le long de l'échine ou bien était ce une hallucination tactile comme lorsqu'un frisson parcours son échine ? Impossible de le savoir. Un tissu lourd et légèrement humide de sueur, se placa sur les épaules de la suzeraine. La doublure matelassé était, certes beaucoup moins "glamour" que le furisode mais il avait l'avantage de reformer ce qu'on pourrait appeler un semblant de défense contre le monde extérieur et une carapace de dignité. La dextérités de Akihiko était étonnante et c'est avec une certaine habileté qu'il commença à préparer la couche de protection interne de la suzeraine. A chaque fois que se mains passaient près de zones quelques peu sensible, elle put sentir le regard amusé du Maitre Corbeau avant de le voir disparaitre, furtif et subtiles comme ses actions depuis que Tokiwa le connait. Une fois l'intérieur de l'armure en place, Akihiko appelle ses deux gardes lanciers pour l'aider à sangler tout le corps de la dame Hashimoto. Les deux soldats étaient bien aussi efficaces que les serviteurs des Hashimotos, si ce n'est plus. Ils ne produisirent aucun son, comme à leur habitude, silencieux et disciplinés. Une fois totalement arnaché, c'est le juriste Motomatsu qui vint apporter la touche finale : le casque. Il le donna donc à Tokiwa avant de conclure.

"Je ne sais pas si les travaux de Izawa sont contagieux ou bien si ces derniers sont d'une autre sources, tout ce que je sais que ce qui est à l'intérieur de cette homme est clairement d'une source équivalente et qu'elle est stable. Pour le reste, il nous faudra le découvrir par nous même"

Je reçois mon casque des mains du Corbeau. Peut-être que j'hésite un bref instant, cherchant à éviter ou au contraire à provoquer le contact furtif de nos doigts. Et au final, je ne sais pas. Je sais que j'ai encore la chair de poule sur les avant-bras et des frissons jusqu'aux orteils. Le fond de l'air est frais. Oui, le fond de l'air est frais.

Je regarde Akihiko sans rien dire. J'évite volontairement de rentrer dans un débat stérile sur l'honneur et la curiosité ; la perche est trop voyante pour que je m'y laisse suspendre naïvement. Mais je suis troublée par autre chose : les suggestions que font sa bouche et celles que font ses mains ne sont pas les mêmes. Je me suis résolue à ne pas avoir le feu aux joues cette fois. Juste le cœur un peu plus agité que la normale et la sensation de "sentir" encore une infime caresse le long de mes vertèbres. Je m'ébroue. Ce n'est pas important. J'enfile le casque ornementé, fais glisser les sangles et boucle la jugulaire d'un geste moins assuré que d'habitude… peut-être un peu trop empressé.
Sabre à la main, je me sens plus confiante. Plus entière. Plus réelle. Peu m'importe que le Corbeau se soit rincé l'œil sur ma nuque et son prolongement ou ait atteint ainsi son "objectif". En cet instant, je ne veux plus penser qu'à une chose : la traque très prochaine d'une nouvelle forme de proie. Il faut isoler les détails importants et s'abstraire du reste. J'opine mentalement et réponds d'une voix moins ferme que je ne l'aurais voulue :

- Une source ? Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par là. (Raclement de gorge). Mais c'est secondaire pour le moment. Si je peux capturer cet individu, il y aura des réponses.

Il n'échappera sans doute pas au seigneur Motomatsu que j'emploi un incisif "je" quand il pare ses propres phrases du moelleux "'nous". Je tiens encore à marquer la distance. Ce n'est pas parce qu'il a touché les replis secrets de mon kimono que je vais lui accorder mes faveurs.
Je frappe des talons dans l'herbe qui borde la rivière pour rejoindre les chevaux. A côté, réunis autour d'un semblant de feu misérable, les magistrats déchus de ma maison. Alors que j'approche de ma monture, je leur jette un long regard. Ils sont toujours officiellement Hashimoto et portent encore leurs armes… même s'ils me les ont déjà présentées en soumission.

Je grimpe en selle, serre les rênes et fais faire quelques pas en cercle à mon destrier. Je tourne trois fois autour d'eux, la mine grave, l'œil judicateur. Puis je prends ma décision d'un claquement de langue.

- Vous qui étiez mandatés par mon nom et mon sceau sur les terres du clan du Lion et avez choisi de renier votre engagement, votre serment de bushi et votre allégeance à ma bannière, qui servez vous à présent ?

Du haut de son destrier, Tokiwa avait repris une prestance qui semble-t-il était resté hors de cette grotte. Peut être était ce psychologique ou peut être était ce l'esprit des Hashimoto qui s'était littéralement incarné dans l'armure matérialisant sur l'épaule de la suzeraine toutes la puissance de ses ancêtres ? Peut importe, elle était redevenue maitresse de la situation. Les Magistrats, eux, autour de leur petit feu de camps, toujours dans leur armure et leur habits ayant bien souffert, toutefois, il gardaient une sorte de dignité étrange. Leur sabre n'était toujours pas à leur ceinture signe qu'ils n'avaient toujours pas, selon eux, regagné le droit de porter cette arme à la ceinture. Malgré la position de faiblesse et la possibilité que Tokiwa les tranche par colère ou simplement par désappointement, ils ne firent que peu de mouvement pour esquiver une possible menace, ils restaient là, stoïques. A la question que Tokiwa lanca, Misami s'avança en tant que porte parole de ces désavoué, ces magistrats déshonorés que plus rien ne retient ici si ce n'est un ultime espoir. Il lanca un regard à ses deux compagnons d'infortune, il sembla convenir d'un accord avant de répondre.

"A présent, Hashimoto-sama, nous servons toujours le clan Hashimoto et contre tout. Contre ses ennemis, contre ses détracteurs, contre ses traitres, mais aussi contre votre décision. Izawa-sama est la réponse que nous espérions. Grace à ses pouvoirs vous auriez pu enfanter et assurer le futur du clan. Vous avez vos raisons, et nous les respectons, cependant, nous estimons que notre devoir et de protéger Izawa-sama, jusqu'au jour de notre mort ou jusqu'au moment où vous accepteriez son aide"

Des renégats, c'était clairement des renégats se rangeant du coté de ce scientifique instable et dangereux. Toutefois, ce n'était pas la folie que voyait dans les yeux de ses anciens magistrats, c'était une détermination, la même détermination qu'elle avait pu voir dans leur yeux le jour où ils étaient devenu les porteurs du sceau Hashimoto. La détermination d'un samurai. De son coté Motomatsu avait eu le temps de monter sur sa monture et ses deux soldats, patientaient à ses cotés. Ce n'était pas la première fois qu'il voyait une dissension dans un clan, mais à cet instant ce n'était pas des dissensions pour des motifs personnels. C'était clairement l'avenir d'un clan qui était en jeu. L'une tentait de l'inscrire dans l'histoire, l'autre de lui assurer des héritiers. Deux points de vies qui se défendent