Eaux Troubles

La réponse de Misami me pique au vif, bien plus férocement que je ne veux l'admettre en présence de ces hommes. Ils mettent en butte deux des lignes essentielles de la vie d'une famille : son honneur et sa longévité. La première détermine sa valeur, la seconde sa force et les deux son essentiels à sa puissance.
C'est l'éternel combat entre la gloire et la prospérité, la pureté et la reproduction, le combat et la paix, la mort et la vie.

Selon la manière dont on examine ces couples d'oppositions, on peut trouver dérisoire l'une ou l'autre de ses facettes. Chercher à tout prix à préserver son clan en enfantant au mépris de décisions cruciales n'est-il pas une preuve d'égoïsme ? Oui, mais dans le même temps, sacrifier des opportunités juste pour chercher une gloriole n'est-il pas un vice de vanité ?
Les samouraïs cultivent volontiers le narcissisme. Et dans le clan du Lion, nous ne sommes pas en reste de fierté mal placée. Les exemples sont nombreux et ne nous enseignent qu'une seule chose : même les plus illustres conquérants sont susceptibles de faire des erreurs. Nous ne tirons sans doute pas toutes les leçons.

Mais je n'ai pas le temps de m'appesantir sur le sujet, alors même que l'on attend de moi une réponse claire et nette. Pour le moment, c'est l'affrontement de nos regards. Je resserre encore la bride dans ma paume. Quelque sera ma décision, elle sera mauvaise. Mais je dois trancher. Une contraction nerveuse agite mon index. Je ravale ma salive et fait bouger mes épaules selon un mouvement qui fait crisser mes épaulières sinistrement. Ma monture piaffe légèrement. Dans le fond, derrière le ruissellement de l'eau, je perçois le grincement de branches d'arbres dans le haut vent… et pas un seul chant d'oiseau.

Je relâche mon souffle, j'ai pris ma décision. Je commence par dégainer mon sabre et le pointe d'un mouvement fluide dans la direction de Misami.

- Votre langage et votre comportement m'ouvrent les yeux. Je comprends maintenant pourquoi il est essentiel de distinguer. (Je fronce encore d'avantage les soucils). Distinguer ceux qui prennent les décisions de ceux qui doivent les suivre. Votre point de vue est limité à votre seule perception d'un fait qui n'a d'importance que dans une situation donnée : la pérennité de la famille Hashimoto. Enfanter n'est pas une fin. Qui plus est, vous ne comprenez pas certaines choses essentielles. Que deviendra l'avenir d'une famille dont la longévité a été rendue possible par l'action d'un homme ? Accepteriez vous de servir un maître dont la vie dépendra toujours de cet individu à l'honneur contesté et qui, de ce fait, n'aura pas de réelle indépendance ? Si je dois donner la vie, je le ferai ainsi qu'il doit être et ainsi que les kamis l'on décidé en me conférant ce corps : en offrant la mienne en échange.

Je n'ai pas à développer mes raisons devant ces renégats mais si j'ai décidé de tordre le cou à l'obséquiosité, c'est parce que je sais ce qui va suivre. Que m'importent qu'ils sachent, ils ne répéteront rien. Je reprends ma respiration et assène brutalement mon verdict :

- Vous avez eu tort en contestant ma décision. Vous avez eu tort en refusant de m'informer des faits. Vous avez eu tort en me tendant un piège. Vous avez eu tort en pensant que je serais prête à donner à un tiers un ascendant significatif sur la famille Hashimoto. Et enfin, vous avez eu tort en osant solliciter mon pardon quand bien même vous savez que vous êtes toujours dans l'affront et non le repentir.

Je les regarde l'un après l'autre, forçant, si possible, leurs regards à se détourner sous le mien. Puis je rengaine mon sabre avec cette agilité que confère l'habitude et je me détourne pour leur présenter mon dos. Et d'une voix forte, quelques seconde plus tard, ma sentence :

- Il n'est pas convenable pour des ashigarus Hashimoto de porter le sabre. Remettez moi vos katanas. A partir de maintenant, si l'un d'entre vous s'éloigne de plus quinze pas de moi ou prononce plus de quinze mots à la suite, il sera pendu. Cette décision ne pourra être levée que par un ordre de ma part.

Déchus, désavoués mais pas exécutés ni répudiés. Je leur laisse en réalité la liberté de choisir la mort la plus avilissante. Amère ironie pour des hommes qui prétendent prendre de meilleures décisions que les miennes. Et comme dit le proverbe : garde tes ennemis près de toi.

Les mots de Tokiwa tombaient telle une sentence. Une sentence implacable et surtout d'une grande violence. Il faut dire que l'ascenseur émotionnel dans lequel elle était entrée depuis qu'elle était arrivé ici l'avait sérieusement grisé. La subtilité n'était plus dans ses paroles, c'était une dirigeante du lion qui parlait et non une petite Chatelaine. Dans un monde où les paroles sont aussi dangereuses que les armes, il était certain qu'on pourrait comparé celles de la chef de famille à un Tetsubo du clan de l'Ours. D'ailleurs cela n'était pas sans ranimer quelques souvenir chez elle. Un souvenir lointain, datant encore de l'époque où son père était encore en vie. Curieuse, elle avait assisté à une sorte de doléance où son père, sans pour autant être violent ou agressifs avait annihilé la vie de la personne en face de lui. Tokiwa ne se souvient plus des mots, ils étaient bien trop compliqués pour elle mais elle se rappelle bien du visage du pauvre hère qui avait du subir les mots acérés de feu Hashimoto-sama. Son visage s'était décomposé, on aurait pu croire qu'on lui plantait une lame dans le ventre et qu'à chaque syllabe, on tournait la lame dans son ventre. Et pourtant, aujourd'hui, malgré la puissance des mots de Tokiwa, elle ne retrouvait pas les mêmes expressions dans le regard de Misami et les deux autres magistrats. Ces derniers baissèrent les yeux se regardèrent encore une fois avant de s'écarter, comme pour faire face à leur suzeraine. Leurs mains droites se placèrent sur les manches de leurs sabre. La menace était clairement visible.

"Je suis désolé Hashimoto-sama, mais vous ne nous avez pas compris"

Les trois hommes s'étaient parfaitement placé à résister à une attaque de la cavalière. Qu'est ce qui avait bien pu les rendre aussi ... traitres. Ils étaient des mécréants, des injures à leur rang ... encore. Ils avaient bafoué leur serments et se rebellaient même contre sa sentence. Une divergence justifiait elle un tel acte de rébellion ? Etait ce la preuve de leur détermination sans faille ou simplement une preuve de plus de leur folie. A moins que ce ne soit l'autorité de la dame Hashimoto qui soit grandement réduite en l'absence de personne qui la soutienne. Pouvait elle appeler Akihiko à l'aide ? Le voulait elle seulement ? Quoiqu'il en soit, elle n'était clairement pas en position d'imposer sa volonté sur ces insurgés.

"Si vous ne voulez pas entendre notre raison, peut être devrions nous accepter la honte jusqu'au bout et faire le choix de l'avenir pour vous, Hashimoto-sama"

D'un pas lent, les trois hommes se rapprochait de la monture comme pour l'encercler. Le Maitre Corbeau lui, patientait, observant la scène non sans un certain intéret. Il était toujours plaisant de voir un combat quand on y est extérieur. Par sécurité, les deux lanciers, eux s'étaient placé devant leur maitre presque comme un bouclier.

- Ainsi, vous prétendez être dignes de ma lame ?

Je n'ai pas besoin de faire volter ma monture pour comprendre que ma sentence n'a pas eu l'effet escompté. On vient de me faire comprendre que non seulement on ne se rangera pas à ma clémence douce-amère, mais qu'en plus, on ne se soumettra pas, on défiera encore plus, voire on ira plus loin dans la bassesse en provoquant directement sa suzeraine dans le dos.

Un soupir ne serait pas assez vaste pour contenir le mélange de frustration et de colère qui fait battre mes tempes. Frustrée de ne pas avoir plus d'autorité sur des gens qui sont censés appartenir à ma maison et qui sensés, en plus, l'étaient parfaitement avant cette histoire boueuse ! En colère pour tout un tas de raisons qui s'accumulent en pile branlante depuis deux jours et qui pourraient bien avoir raison de la légendaire réserve bienséante qui sied aux nobles Hu Bei.

En d'autre mots, j'ai soudainement une furieuse envie de coller un coup de pied au cul de Misami pour lui apprendre le respect à ce chien ! Evidement, c'est quand on sort de ses gonds qu'on se pique des actions les plus stupides (ou parfois les plus héroïques… mais l'héroïsme est une notion vaseuse qui n'apparaît bien souvent qu'après coup).

Allongeant le bras, je frotte le chanfrein de mon cheval, crispe mon visage d'une grimace sombre et saute au bas de mes étriers d'un mouvement vif en jetant ma jambe par-dessus la selle. Atterrissage sans douceur dans l'herbe. Je suis toujours de dos. Une main sur la poignée de mon sabre, l'autre encore repliée autour des guides. Mentalement, j'égraine les secondes. Je sais qu'ils n'hésiteraient pas à m'attaquer de dos. Ils n'ont plus d'honneur. Je tente d'anticiper leur avancée, tandis qu'ils me considèreront sans doute comme une proie facile.

- J'ai dit que vous seriez pendus. Je ne vais pas me répéter incessamment. Ce sera une corde qui provoquera votre mort. N'importe quelle corde !

Au moment que je juge idoine, je tire alors brutalement sur les rênes, je force ma monture à plonger de la tête d'une manière qui provoquera immanquablement une réaction. Et dans ce genre de rébellion équine, il ne vaut mieux pas se trouver trop près des sabots.

Moi-même, je bondis de côté, pivote sur un pied et dans le même mouvement, tire mes trente pouces d'acier lourd. Sifflement, la sensation de glissement le long du fourreau et la position naturelle que prennent mes deux mains autour de la poignée. D'un œil, je surveille les ruades de ma monture, histoire de ne pas en faire les frais, et de l'autre, je guette la première opportunité pour fondre dans une ouverture et renvoyer ces renégats à l'âge de l'os et des dents qui grincent. Si l'un d'entre eux est vulnérable, je frapperai d'un coup direct et horizontal pour taillader les membres, jambes ou bras.

C'était un combat, un vrai combat, comme celui qu'avait étudié Tokiwa pendant ses études. Elle qui n'avait que très rarement combattu sans être aidé ou du moins épaulé par des hommes de confiances. Là elle était seule contre toi sans personne pour garder ses arrière. Il y aurait pu avoir Akihiko mais celui ci, sans demande de la suzeraine, préférait garder ses distances. Il faut dire qu'il n'avait pas forcément le choix. Une scission dans un clan arrivait bien souvent, du coup, politiquement parlant, le juriste dépêché par l'Empereur, ne pouvait prendre partie sans une bonne raison. Mais cela n'était pas grave. Tokiwa avait accepté de combattre seule, si elle survivait, ce sera par ses seules capacités. Mais ces capacités quelles étaient ce ? Elle n'avait que rarement eu l'occasion d'affronter de telles situations. Le combat au dojo et les quelques escarmouches qu'elle avait vécu étaient elles suffisantes pour lui assurer la victoire ? Il était temps de le découvrir. Alors qu'elle était de dos, tenant la bride de son cheval, le silence était presque total. Seule la petite rivière et la respiration forte de la monture semblait percer cet épais nuage insonore. L'adrénaline commencait à se répandre dans le corps de la suzeraine alors qu'elle écoutait le moindre son provenant de derrière elle. Le sang battait dans les tempes de la jeune femme quand soudain, un bruit de caillou se déplacant attira son attention. Quelqu'un était assez proche. D'un mouvement sec, la main de la suzeraine tira sur les reines du cheval, le faisant l'exciter violemment. Pas le temps de regarder pour l'instant, elle fit un bond pour s'écarter de sa monture devenu frénétiques. Alors qu'elle dégainait son arme et se retournait, elle dut parler une attaque de Misami. Il était pourtant au milieu du groupe, il avait pris un sacré élan au point que le choc du forcer Tokiwa a reculer d'un pas et demi.

Le tintement de l'acier avait alors brisé le silence. Toujours reculant légèrement, un autre coup s'apprêta à frapper Tokiwa qui n'eut d'autre choix que de le dévier. La lame d'acier racla sur la cuirasse familiale, ne manquant pas de laisser une griffe sur la céramique. Les deux attaques avaient semblaient coordonnée ou du moins ils avaient eu l'occasion de combattre assez longtemps pour leur donner un avantage pendant le combat. Les deux hommes faisaient alors face à la jeune femme. Grace à leurs attaques, certes tout ce qu'il y a de plus basiques, ils avaient orienté le combat à leur avantage, forcant leur ancienne maitresse à avoir le cheval frénétique dans le dos, faisant un bruit du tonnerre. Elle n'avait pas eu le temps de regarder où était passé le troisième larron. Avait il été touché par le cheval ou avait il poussé la traitrise pour chercher à contourner Tokiwa ? Ou pire avait il été chercher une arme plus vicieuse dans cette situation, tel qu'un arc ? Impossible à dire sans risquer de détourner le regard des deux traitres devant elle. Seule contre trois hommes, il fallait agir avec ruse, la force et l'agilité ne suffira surement pas

Deux coups sonnants sur la tranche du katana. Le recul, l'impact et la sensation de cet incroyable déchaînement de violence. Je me mords l'intérieur des joues machinalement. Trois contre une, la partie n'est pas digne d'être mentionnée, elle s'écroulera avant même qu'on parle de son équilibre.

Un combat qu'on ne peut pas gagner et un combat perdu sont deux choses très différentes.

Ici, en l'état, je n'ai aucune chance. Je suis acculée, mal orientée et forcée de me concentrer sur deux adversaires pendant que le troisième se déplace peut-être hors de mon champ de perception. Mais je ne pourrais pas subir une autre humiliation. J'irais jusqu'au bout. J'incline légèrement le buste en avant, je referme ma garde à deux mains et je force une courte et sèche taillade sifflante pour maintenir l'écart. Ma lame est encore légère, assoiffée, vibrante. Un serpent animé de vengeance. Une griffe impitoyable qui veut déchirer, percer, lacérer.

Dans mon dos, je ressens les mouvements erratiques de mon cheval. Mon propre stratagème menace de me flanquer un coup de sabot dans les reins ! Comment ? Comment faire ?! Je dois analyser, réfléchir, vite ! La grotte, Akihiko et ses gardes, mon destrier fou, la rivière…

Distillant l'instant, j'étale ces quelques secondes de flottement au-delà du raisonnable. Je les étire, je les force au point de rupture, à la limite de la déchirure et je glisse quelques paroles pour assouplir le tissu trop rigide du temps :

- En vérité, vous voulez vraiment occire la dernière descendante de la famille dont vous avez l'outrecuidance de prétendre gérer l'avenir ?

Je n'attends pas de réponse, ma temporisation est écoulée et je n'ai pas le choix, il faut que j'agisse !

- Akitoshi !

Gueuler le nom de mon père ne m'est pas d'une grande aide mais ça stimule. Je me fends en avant avec une audace trop souple pour que je m'en tire indemne. Je rabats alors immédiatement mon sabre en arrière, bondis de côté, attrape les guides de mon cheval affolé. Je tire pour le forcer à faire face à la rivière au risque de m'en prendre un dans le flanc et le fouette à la croupe du plat de ma lame pour qu'il détale. Cramponnée à la sangle de cuire, une main fermement verrouillée autour de la poignée de mon arme, je serre les dents.

Mon idée, c'est de me faire tracter tant bien que mal par le cheval de l'autre côté de la rivière, puis de me récupérer comme je peux et de me repositionner derrière cet obstacle naturel pour gérer la suite.

hrp:

Le cris de guerre était lancé. Quoique ce n'était pas tant un cri de guerre, plutot une sorte d'appel à la puissance des ancêtres de la famille Hashimoto. Un cri qui n'avait pas vraiment un but spirituel ou encore un but mystique. Le but était de concentrer la colère, la frustration et surtout le besoin de ne pas paraitre comme un animal fou. Tokiwa aurait pu trouver mieux mais le fait est que dans le feu de l'action on a pas forcément le temps de réfléchir. De toutes manières, le résultat était là, le sang battait dans les tempes de la suzeraine, son regard était acéré. Ses actions, étaient prêtes dans son esprit, n'attendant que le corps pour les réaliser. Mais le corps de la suzeraine était il prêt ? Le doute était malheureusement dans l'esprit de la jeune femme encore trop peu expérimenté par la guerre. De toutes manières, il était trop tard pour se lancer dans une réflexion plus poussée. Comme disait son sensei : "Parfois, on a pas le choix, il faut prendre les risques, accepter les blessures si cela peut donner la clé de la victoire". La clé de la victoire n'était cependant pas le but de la manoeuvre mais peut être pouvait elle voir une lueur d'espoir dans son combat bien mal commencé.

Les pas de la jeune femmes prirent bien appuis dans l'herbe alors qu'elle lancait son assaut pour assaillir le combattant de gauche, Misami. Celui ci, ne tente pas de parer la lame, il l'esquive d'un pas en arrière, rabattant sa lame comme pour attaquer d'un revers. Continuant sa manoeuvre, la suzeraine pare l'attaque du deuxième larron qui avait tenté de taper dans son dos alors normalement exposé si l'épée familiale ne s'était pas retrouvé sur le chemin. L'attaque s'était bien passé et Tokiwa s'apprêtait à battre en retraite quand elle vit l'attaque de Misami arrive droit vers son visage. Le casque, de Tokiwa était grand et ses mouvement ne cessaient de le faire bouger. Ce n'est qu'au dernier moment qu'elle vit le manche du sabre de Misami arriver sur son front et rencontrer le casque qui cette fois tomba dans l'herbe à cause du poids. Le coup avait sonné la jeune femme quelques instant, la faisant reculer vers la monture. C'est là où, dans la bruit temporaire de sa vision mouvante, elle vit une sorte de peur dans les regard de ses adversaires qui semblaient s'éloigner. L'un d'eux tenta même d'attraper la descendante Hashimoto, mais elle était déjà trop reculé pour cela. Alors qu'elle tombé sur les fesses, elle se retrouva à un endroit à l'ombre et qui bougeait : Bon sang, elle était sous les flancs du cheval.

Une bonne dose d'adrénaline empêcha la jeune femme de sombrer. Ce n'était plus sa volonté qui poussait le corps, mais un instinct de survie. Roulant, elle passa de l'autre coté du cheval et pu attraper les reines de l'animal non sans sentir le vent déplacé par les sabots de ce derniers alors qu'ils passaient proches de son corps. Mais le coup à la tête ou le manque de clarté dans sa perception avait fait son oeuvre et la peur ne l'étreignit pas une fois. Trainé par la monture, elle commenca à reprendre bien ses esprit après avoir senti sous ses pieds de l'eau et des rochers. Elle lacha alors pour tomber sur l'herbe humide. Il ne lui fallut guère longtemps pour se remettre sur ses jambes et dégager les cheveux qui étaient tombé sur son visage. Elle sentait une douleur sur la tempes, et quand elle passa la main, elle y vit du sang. Nul doute que ca allait laisser une jolie bosse. Sa vision du champs de bataille de loin était tout de même assez réjouissante. Les deux combattants étaient en train d'arriver vers elle alors que le troisième, lui était sur le sol en train de tenter de se relever mais sans vraiment y arriver. Il toussait et se tenait les cotes, de toutes lui n'avait pas esquivé un coup de sabot.

Lame plantée en terre, je me redresse maladroitement sur la berge, la tête vascillante et une sensation d'engourdissement tout le long du bras gauche. Mais ma manœuvre semble avoir marché ! Je serre les dents. La cuisson lente du sang qui dégoutte de ma tempe alimente ma fureur. Seulement, elle accapare aussi une partie de mon attention équilibrant sans doute le rapport de force. J'ai maintenant l'avantage du terrain, ils ont l'avantage d'être indemnes pour deux d'entre eux. Mais pour m'atteindre, il faut qu'ils mettent les pieds dans l'eau ! Et c'est là que je les attends !
Je veille à ce que ma monture reste à l'écart cette fois, pas question de prendre un coup de sabot en traître au mauvais moment. Je me positionne sur la berge, les pieds légèrement décalés, une main enserrant ferment la poignée du katana, et l'autre… et bien un peu moins fermement mais j'y mets de la conviction.

Mes yeux ne cessent d'aller et venir. Sans mon casque, je gagne en champ de vision ce que je perds en protection. Foutu casque ! Je savais qu'il était trop grand mais que pouvais-je y faire ?

Je regarde tour à tour Misami et cet autre magistrat dont j'ai oublié le nom. Peu me chaut. Je m'en fous. Je m'en cogne. J'ai mal à la tempe ! Ça cogne ! Je redresse la pointe de mon katana de quelques centimètres. Je corrige ma garde en tenant compte du fait que mes adversaires vont se présenter légèrement en contrebas. Ils vont sans doute se séparer mais pour attaquer, il faudra quand même qu'ils se lancent à l'assaut sur ces galets traîtres.

Bref :

- Approchez mes gaillards !

Perché sur le bord de la berge, Tokiwa attendait donc ses adversaires, une attitude beaucoup plus défensive que tout à l'heure, d'autant que cette fois, elle ne risquait surement pas de se faire gêner par le cheval. En effet, celui ci avait très bien compris l'ordre de foncer tout droit, et le poids mort qui se largua tout seul de l'autre coté de la rivière, avait disparu. Conclusion le canasson avait filé tout droit hors de cette zone de combat sans trop demander son reste. De toutes facon l'endroit était trop malsain pour lui. D'ailleurs en parlant de malsain, les deux ex-magistrats étaient tranquillement en train de se rapprocher avec prudence de leur adversaire. Mais contrairement à ce que la suzeraine pensait, sa position n'était nullement la plus forte, du moins, pas au même niveau qu'elle l'imaginait. Car, si Tokiwa était bien légèrement surélevée et surtout, sur un terrain stable, les ex-magistrats eux se séparaient pour monter chacun d'un coté de la rive.

Avec des mouvements lents et surtout assurés, les deux hommes prenaient leur distances comme si Tokiwa étaient un fauve qu'il fallait approcher. La prudence était surement leur plus grande force mais aussi une sorte de faiblesse. Le temps de leur manoeuvre laissait la jeune samurai le temps de remettre ses esprits en place. Toujours d'un pas assuré, les deux hommes étaient à quelques pas du bord, tout les deux à environs trois voir quatre bons mètres de leur cibles et s'apprêtaient à arriver sur un terrain stable à leur tour. La jeune samurai devait agir vite et surtout agir avec discernement. Des deux ennemis, Misami était surement le plus adroit avec son sabre, il avait été le magistrat de confiance, le plus expérimenté à imposer la justice dans des contrées parfois hostiles alors que les deux autres étaient plus affiliés à des taches moins sensibles et surtout moins dangereuses. Etait ce un ennemi à abattre tout de suite ou bien à isoler ? De la réponse risquait de dépendre la vie de Tokiwa. Elle devait vite prendre la décision, elle le fauve traqué, elle la Petite Lionne dont les griffes et les crocs, en cet instant, rêvaient de se revêtir d'un rouge carmin.

Comme je m'y attendais, ils se séparent pour me forcer à choisir. Ralentis par le cours d'eau, leurs pas sont lents et empâtés. Ils avancent trop lentement, si lentement que leur trajectoire en devient prévisible.
Je baisse légèrement la tête, marquée par l'avancée visible de ma mâchoire inférieure, sans doute inesthétique mais très certainement féroce. Mes cheveux humides collent à mon front et mes tempes, j'incline mon sabre en oblique de manière à diriger la pointe vers l'homme de gauche tout en gardant le tranchant ouvert vers Misami. Je ne veux pas afficher tout de suite mon choix.

Les jambes légèrement fléchies, prête à couvrir la distance qui me séparera de l'un d'entre eux lorsqu'ils s'approcheront de la rive. Je fais de très légers mouvements des mollets. Mes yeux vont de l'un à l'autre. Comme un prélude à une danse mortelle. Un entrelacs scintillant devant s'achever dans un bouillon d'éclaboussures écarlates.

D'abord Misami, l'homme droit sur la droite. Le samouraï habile. Le magistrat éclairé. Des trois, il a sans aucun doute l'ascendant hiérarchique. Encore élégant sous sa couche de crasse et ses oripeaux déchirés. Affronter ce guerrier en face à face serait autrement plus risqué que de le charger pendant qu'il est pénalisé par le terrain. Malgré le fleuve, il reste un adversaire redoutable. Et lui, contrairement à moi, n'est pas blessé.

Puis l'autre, dont j'ai oublié jusqu'au nom et qui progresse à gauche en parfaite symétrie. Je décèle dans sa manière de tenir son sabre plusieurs petites erreurs de positionnement. Trois fois rien mais juste de quoi attirer les réprimandes d'un maître de dojo. Fondamentalement, ça ne change sans doute pas grand-chose mais à mes yeux, cet infime défaut trahit une maîtrise imparfaite de son arme. Une faille, une faiblesse. J'ai encore le choix.

Je ravale un filet de salive. J'entre dans ce pas de temps si étrange et si diaphane que mes sandales pourraient en effleurer le fil du rasoir sans s'y fendiller. Cet instant pur où la concentration devient si intense, si acérée qu'elle en cisèle chaque seconde avec la patience d'un sculpteur. Chaque détail afflue avec une précision contrastée par l'attention que je lui porte.

Alors que la moindre boucle d'équipement, la moindre lanière et le moindre muscle me semble presque briller d'un éclat diamantin, les formes floues en arrière plan du Corbeau et de ses gardes ne m'apparaissent qu'à peine. J'inspire.

Les battements de mon cœur. Le bruissement de l'eau. L'herbe qui caresse mes jambes. La boue qui englue mes semelles. L'odeur suave de ma propre transpiration et celle plus chargée du sang qui empoisse ma joue. Le goût de l'acier sur ma langue, la saveur brûlante de l'adrénaline contre mon palais.

J'avance sur ce dallage obscur, dans le palais du temps. Je porte ma lame contre mes lèvres. J'embrasse le Lion. Je suis la lionne. Une exclamation sèche fleurit sur me lèvres, je me déporte sur la gauche en un éclair. Ma katana se lève déjà pour asséner un triple coup fulgurant. D'abord une attaque sifflante de haut en bas, visant la tête et forçant mon adversaire, légèrement en contrebas à se garder très haut. Puis, bloquant me sabre net, un enchaînement immédiat sur une taillade oblique de bas en haut, profitant de son ouverture probable pour lui lacérer le thorax. Et si ça ne suffit pas, en dernière instance, un coup cinglant en direction du visage pour le forcer à reculer, le meurtrir, l'éborgner ou mieux, l'étêter !

Passé ces trois coups, s'il n'est pas en train de rougir l'eau du fleuve, je serai de toute façon contrainte d'affronter Misami sur mon flanc droit. Je décide donc de tout miser maintenant ! Mettre définitivement hors de combat le moins doué des deux en m'appuyant sur mon avantage tactique et concentrer toute mon attention sur le dernier.

Pour la chasse mortelle,
Comme le froissement,
D'une pellicule d'eau glacée.

L'attaque est lancée, l'adrénaline de Tokiwa fuse à travers son coeur allumant une flamme semblant embraser le corps de la Lionne. Certains des samurais du clan du Lion appelle d'ailleurs cet étrange phénomène, la Bénédiction des Kamis du Feu. Une flamme intérieur nourrit pas la colère, le devoir, la loyauté et le sacrifice. Une bénédiction qui ne manque pas de faire la fierté de nombre de combattant émérite. Mais c'est la première fois que Tokiwa ressent véritablement cette flamme en elle. Est le danger ? L'infériorité numérique ? Le défi ? La blessure ? Quoiqu'il en soit, cette flamme semble avoir totalement inhibé sa douleur et son armure ne semble alors moins lourde ... ou plutot, elle semble totalement accordé avec les mouvements de la suzeraine. Elle était en avantage de puissance, de position, et surtout de volonté. Le combat était fini pour Misami.

Celui ci, n'eut pas de problème pour parer le premier coup mais déjà son bras se pliait sous l'impact. Puis un deuxième coup et ce fut ses jambes qui fléchirent. Un léger grognement se fit entendre entre ses dents. Quand vint enfin le troisième coup, celui ci porta. La lame frappa sur la clavicule de l'ex magistrat et se logea de près de dix centimètre dans son armure, taillant la chair en dessous. Mais nul son ne s'échappa de sa bouche qui tremblait pour ne pas émettre de son. La volonté, une volonté forte était à l'oeuvre, une volonté qu'encore jamais Tokiwa n'avait vu car elle n'est montré qu'en de rares occasion, comme des seppukus. La lames était logé en Misami, mais celui ci restait debout. Il plongea son regard dans celui de son ancienne suzeraine avant de lui attraper les mains et les fixer.

"P-Pour ... le clan ... Hashimoto"

Et d'un coup sec, il rapprocha la suzerain qui sentait ses bras prisonnière d'une étreinte surprenante. La lame s'enfonca encore plus dans le corps du magistrat qui luttait contre les spasmes de douleur qui l'agitait. Articuler dans cette posture était particulièrement difficile et nul doute que son acte était désespéré. Le sang coulait de manière assez abondante. Mais c'est la dernière chose que Tokiwa put observer. Ca et les les bruits de pas rapide arrivant derrière elle. Une vive douleur se faire alors sentir derrière sa tête avant que quelqu'un n'éteigne son cerveau d'un coup bref.

***********

La douleur est toujours présente alors que les sens de la jeune femme se fait transporté par quelque chose. Le ciel a déjà la teinte du crépuscule alors qu'elle entend les derniers chants d'oiseau. Sa tête lui fait mal mais il y a aussi une sensation de faiblesse qui semble s'être emparé du corps de la jeune femme. Un bruit de sabot marchant dans la boue arrive alors à ses oreilles. La grande Ombre, aux cotés d'elle est Akihiko et elle identifie ses porteurs comme les deux Ashigarus qui le secondent. La foret n'est plus silencieuse, elle n'est plus malsaine, elle est normale, preuve que le domaine d'Izawa est alors bien loin. Le juriste remarque alors les yeux de la blessée s'ouvrir. Subitement l'inquiétude du visage du Maitre Corbeau s'efface pour montrer une expression rassurée.

"Vous vous réveillez enfin. Nous allions bientot arriver au village. Je me voyais mal expliquer votre état à tout ces villageois. Vous m'avez tout de même grandement inquiété. Surtout n'essayez pas de vous lever pour l'instant récupérer autant que possible et ne vous inquiétez pas pour votre armure, elle est là"

De sa main, il tape sur un paquetage assez grand à l'arrière de son cheval. Ce n'est qu'en voyant sa cuirasse que Tokiwa comprend qu'elle a été, une fois encore déshabillé de son armure. Touchant son front, elle se rend compte qu'une sorte de bandage y a été appliquée. En dessous de ce bandage, se trouve une sorte de pansement enduit d'un baume apaisant. Une médecin rudimentaire qui semble calmer quelque peu la douleur de l'hématome. Mais alors pourquoi être aussi faible ?

Lumière… du… jour… faiblissant. Tant mieux. Pas trop d'un coup, ça pourrait faire mal. Je cligne des paupières. Quelque chose colle derrière mes yeux. J'essaie de rassembler quelques morceaux de pensée. Mais tout semble brisé. En miettes. On m'abreuve de morceaux de phrases. Il y a beaucoup d'ombres au tableau. Des ombres dans mes yeux, des ombres dans le passé, des ombres dans mes souvenirs… Bon sang, mais qu'est ce qu'il s'est passé ? J'ai mal un peu partout mais je ne crois pas souffrir outrageusement au point de devoir être transportée.

Je tente de bouger la tête vers la droite…

- Greeeehaaa. AAAAH !

Purée ÇA ça fait mal ! Je manque de me vomir dessus de justesse, ravalant au passage une remontée acide qui retourne dans le bocal ballotté qu'est devenu mon estomac. Je respire. Je gonfle ma poitrine de cet air frais chargé de l'humidité de la terre noire des forêts. L'humus s'accorde avec tout, goûtez-y ! Oui, l'humus, j'en engloutirai bientôt des pleines bouchées, je mâcherai de la boue de mes dents ébréchées. Sous terre. Je mourrai.
Je tousse. Ma main semble chercher quelques chose, elle s'accroche, griffe, palpe la matière qui me sert de civière. J'ai mal dans le fond des yeux. Un mal cotonneux, ouaté, comme un coup de wakizashi au travers d'un épais velours. Ces ombres, ces ombres empoissent mon champ de vision ! Je papillonne des paupières de plus belle, cherchant à chasser l'image rémanente d'un Misami halluciné de douleur. Ce regard... ce regard fou !

- Akihiko san… je… je ne vois plus de l'œil droit… ai-je combattu avec honneur ? Est-ce que la famille Hashimoto a gagné une fin digne ou ai-je été vaincue sans prestige ?

J'ai la très étrange sensation de ne plus rien peser. Pas plus lourd qu'un soupir. Une petite feuille couleur rouille prête à se détacher à la première brise. Et puis il y a plus important que l'honneur ou la mort : ce que cherche ma main droite en vain.

- Où est mon sabre ? Je ne veux pas mourir sans tenir mon sabre...

Akihiko semble regarder la scène avec le même regard qu'un adulte regarde un enfant qui s'est fait mal. Un mélange d'inquiétude mais aussi d'amusement de voir que la blessure qu'à recu Tokiwa semble bien plus grave dans son esprit. C'est donc avec un petit sourire à peine éclairé par les dernière lueurs qui viennent du ciel, laissant bientot place aux lueurs des étoiles et de la lune, que le Maitre Corbeau sorte une chose battant sur le flanc de sa monture. Il le tient avec autant de respect qui lui est possible alors qu'il est à cheval sur sa monture d'ébène. Il le place alors au dessus de la pauvre suzeraine affaiblie, assez loin pour que ses bras puisse l'attraper avant de répondre.

"Votre sabre est là. Je l'ai gardé, de peur qu'il ne tombe sur votre civière improvisée"

Une fois le sabre dans ses mains, Tokiwa pouvait se sentir à nouveau complète. C'était l'âme de sa famille et la sienne qui est dans ses mains. Peut être est ce une impression mais elle avait vraiment la sensation qu'une chose se dégageait de cette épée, une colère, un peu comme la colère qui avait pris le controle de la jeune femme avant de trancher Misami à la clavicule. Prendre le controle ? Non ce n'était pas le bon terme. Tokiwa savait très bien ce qu'elle faisait, c'était plus une enivrante sensation, l'assurance qu'elle avait raison, que c'était son role et qu'à cet instant, dans ce lieu, elle devait être là, elle devait combattre. Le souvenir de cette sensation, entrait presque en résonance avec l'impression tactile due au sabre. Le mélange des deux semblait presque lui redonnait une force, peut être pas physique, mais plutot spirituel. "La volonté c'est ce qui différencie un ashigaru d'un samurai. Quand le samurai tue c'est qu'il a mit toutes sa volonté dans ses coups, que sa détermination est sans faille et que son coeur et son âme guide sa lame. Sans cela, la lame du samurai est émoussée et la mort l'attendra à son prochain coup". Une phrase qui jaillissait de la mémoire de Tokiwa. Elle ne l'avait pas recu directement, mais plutot en écoutant au porte du dojo de son père pendant qu'il formait les samurais les plus prometteurs du clan Hashimoto.

"Vu l'état de vos ennemis, je ne pense pas que vous ayez gagnés où perdu. L'un des ex-magistrats avait les cotes en mauvais état et Misami va surement mourir dans les heures qui viennent. Il n'y a que le dernier qui s'en est pas trop mal tiré. Quant à votre oeil c'est à cause du bandage de votre tête. J'ai du faire un passage dessus à cause de la bosse sur l'arrière de votre crane. Reposez vous, vous avez subit de lourdes épreuves aujourd'hui"

De lourdes épreuves ? L'utilisation de ces mots étaient particulièrement troublant. Certes elle avait découvert en une journée l'incompétence puis la trahisons de personnes de confiances, perdu un duel et aussi un combat à 3 contre 1. Mais peut on appeler ca des "lourdes épreuves" ?

Gagné ou perdu ? Comment une chose aussi évidente peut-elle être aussi indistincte ? Et pourtant, maintenant que j'y pense, il n'est parfois rien de moins facile que de distinguer ce que l'on gagne en arrachant une victoire pour un prix de sang. Mais les samouraïs sont formés au sacrifice. Mes schémas de pensée, mes réflexes, mes moindres fibrilles sont affûtés pour ignorer le coût personnel de chaque décision.

Je me donne totalement parce que c'est la seule manière de vivre que je conçois. Et c'est sans doute la raison pour laquelle je suis allongée sur le dos, traînée sur une civière en train de serrer mon sabre contre mon sein de mes doigts meurtris. C'est assez rageant pour me donner envie d'aller flanquer un coup de tête dans un cheval mais comme ça ne ferait rien pour arranger mon mal de crâne, je préfère m'abstenir.

A la place, maigre substitut, je soupire.

- Ni victoire, ni défaite. Bon sang, alors je ne dois pas mourir ! Ce serait indigne !

Et je suis réellement contrariée. Je tente de me redresser péniblement, en pure perte évidemment.

- Mais je ne PEUX pas me reposer non plus !

Je m'irrite de ma faiblesse. C'est stupide, nous allons entrer en présence de gens que je suis censée guider et diriger et que puis-je bien faire si je suis couchée dans une litière ?! Je grimace, puis je me ravise en songeant que ce n'est pas très élégant. Cela dit, au point où j'en suis, je ne devrais sans doute pas me soucier de ce genre de détail.
Je regarde Akihiko depuis ma basse position. Lui, fier et altier sur sa monture, et moi faible et incapable dans mon berceau.

- Motomatsu sama, il faut que nous jouions d'un artifice. Je ne peux pas entrer dans un village de mon fief dans ce triste équipage. Même si je dois m'écrouler de fatigue en arrivant, je dois me présenter telle qu'une daimyo devrait être en toute circonstance : droite et forte. Comprenez moi, le Lion ne peut pas se permettre d'être couché. Alors… pour cette fois, je vais devoir vous demander de l'aide… s'il vous plaît…

Ça me navre, mais je suis obligée d'être son obligée. Et même plus que ça.

- Il faudrait que je paraisse en armure et à cheval. Il ne sied pas qu'une suzeraine du Lion se fasse traîner ainsi sans ses apprêts. En échange, je suis prête à vous octroyer une reconnaissance appropriée à la mesure de vos souhaits.

Et puis, un instant de réflexion pragmatique féminine me pousse à ajouter :

- Si c'est dans mes capacités bien entendu…

C'est un genre de marché moderne et totalement inhabituel entre deux samouraïs. J'ai besoin de la supercherie du Corbeau pour convaincre mes féaux que leur dirigeante est encore indemne et donc, capable de diriger. Evidement contraire au code d'honneur. En fait, en cet instant, si Akihiko le souhaite, il pourrait m'ordonner de me faire seppuku pour lui avoir fait une telle proposition. Et une fraction perverse de mon esprit serait ravie de s'executer.