Lune et sang un rêve de jour orageux.

Et c'est ainsi que nous entrons tous trois dans Athéïle : Orghan, dont le souffle pénible indique que ces jours de marche forcée l'ont quelque peu fatigué, Nahal, toujours d'aussi bonne humeur (mais est-ce encore vraiment la peine de le préciser ?) et moi-même, de plus en plus crispée par la magie qui baigne l'air ambiant. Et toujours ce mauvais pressentiment qui ne disparaît pas. Bien sûr, Nahal fera tout pour que nous évitons tout affrontement, mais regardons les choses en face, un minotaure avec une maison sur le dos, on a déjà vu plus discret !

Alternant entre des phases de courses et de courtes périodes d’attente, notre convoi pour le moins exceptionnel progresse lentement dans les rues du Joyau. Puis Deus, qui est resté couché jusqu’à présent, et ce malgré la tumulte qui règne en dehors, se met soudainement à remuer. Son museau situé à moins d’une longueur de bras de mon visage, je l’entends humer l’air. Curieuse, je l’imite aussitôt. Des douces effluves, que la puanteur des combats ne suffisent pas à couvrir, me parviennent alors : la mer.

Cette odeur caractéristique de sel et de vase, à nulle autre pareille, me renvoie aussitôt un an en arrière. La chaleur du sable sous mes pieds, les aboiements de Deus qui trottait sur la plage, la fraicheur de la mer qui emplissait mes poumons, les rires de maman qui nous regardait jouer. L'été dernier, nous avions l’habitude de venir tous les soirs nous promener sur une petite crique située quelques kilomètres de l’auberge. Hélas, l’apaisement apporté par ces souvenirs ne dire pas. Tout ça c’est du passé, et je suis ici pour rencontrer un vieux marin qui doit me sauver de mes propres tourments…

On s’arrête à nouveau. Une grande main passe à travers la porte de la cabane pour me caresser la tête, seule manière pour un énorme minotaure de dire au revoir à une fillette qu'il a porté sur son dos plus d'une semaine durant. Nous sommes arrivés.

La pluie nous a accompagnés jusqu’au port. Alors qu’elle n’était que fine bruine à l’entrée de la ville, des hallebardes tombent désormais sur les pauvres âmes surprises par la tempête. Par milliers les gouttes d'eau tombent du ciel et résonnent fortement sur les pavés, tels des grelots de cristal. Un vent d’une violence inouï balaie le port. Cette horrible sensation d’étouffer continue de s’accentuer, et le peu de réconfort que l'air marin m'avait apporté s'est envolé aussi vite qu'il était arrivé. C’était comme si toute la magie qui baignait la ville s'était soudainement rassemblée ici pour former la tempête.

Ni le doux chant de la pluie, ni même les coups de tonnerre fracassants n'arrivent à couvrir les échos de la bataille navale qui fait rage dans le port. Le fracas des coques éperonnées et les cris des marins terrifiés témoignent de la violence des combats. Se peut-il que les abimes aient déjà emporté l'homme que je me désespère d'enfin rencontrer ? Quoiqu'il en soit, je n’ai qu’une seule option : il me faut attendre la fin des hostilités.

Balancée par les vents et inondée par les flots, la maisonnette ne m’offre qu’un confort très limité (ça commence d’ailleurs à sentir le chien mouillé). Je me risque à sortir la tête, pour questionner Orghan et Nahal sur le déroulement des combats. C’est alors que je le ressens : devant moi, en plein cœur de la bataille navale, un rayon de magie d’une prodigieuse intensité s’abat sur ce qui me semble être … un homme ?! Le doute se transforme en certitude au fur et à mesure qu‘il « absorbe » l’énergie magique (je ne trouve pas de meilleur façon de décrire l‘impression que j‘en ai), et que sa silhouette se dessine de plus en plus clairement dans mon esprit. C’était comme s’il c’était mis à rayonner tellement fort que même mes yeux pouvaient le voir. Si je ne sais pas comment un tel évenement a pu se produire, la victoire de cette chose ne fait en revanche plus aucun doute.

Il ne lui faut pas plus de quelques minutes pour balayer les navires ennemis. Je le sens rentrer au port, certainement à bord de son bateau. Je n’arrive pas à étouffer mes sanglots : je tremble tellement que j’en ai mal partout. Je ne saurais dire si c’est cet être de magie qui me terrorise le plus ou bien l’absolue conviction que la personne que je recherche est sur le même bateau.