Une arrivée fracassante

[hrp : je me permets quelques extrapolations vu la situation et le fait qu'il faut aussi qu'on avance un peu, j'espère que ça vous convient, sinon je modifie]

- OoooaAaaAAAAAAAAAH !!

Le cri. Pourrait. Avoir. Plusieurs. Motifs.

La traction, l'attraction, l'attrait, l'attifement, l'attendrissement, l'atterrissage (dur), la torsion et pour finir...

...
L'a
...
L'asp...
...
L'asphyxie !
...

Constance roule des yeux ronds. Elle suffoque sous ce phoque. Enfin non, c'est un homme. Mais un du genre étrange. Au début c'est juste un beurré plutôt mignon enturbanné dans un drap qui ne tient pas l'alcool. Et puis dans un second temps, c'est un fou-animal torride dont le drap ne tient plus du tout, roulé sur les hanches façon pagne tribal.

Et d'ailleurs, il commence à donner des signes flagrants de velléités d'accouplement à la sauvage. Il dénude la jeune hypnalisine jusqu'à la taille, offrant à l'assistance la vision trouble de ses jambes fluettes qui tentent naïvement de se débattre.

Elle voudrait bien haleter, reprendre son souffle et crier quelque chose mais sa langue est empêtrée dans celle du marin Akham. Elle sent ses doigts crochetés lui griffer les cuisses, lui pétrir violement la poitrine, lui faire craquer le dos.

Et puis il faut bien qu'il respire un moment. Elle en profite pour tourner la tête, reliée par un filet de salive à cette parodie de reproducteur de type mâle (qui lui fait mal d'ailleurs) et cherche de l'aide auprès de la responsable des affaires : Embrun. Ce à quoi elle capte simplement une bricole à propos de mains qui tremblent.

- Nan mais ici, elles tremblent pas, elles palpitmmmmh !!

Il a remis ça, les lèvres collées aux siennes. Et autour on encourage, on salue, on rit. "Heeey" par ci, "Ooooh ouaiiiis !!" par là. Sans oublier les conseils, les chopes qui cognent les tables en cadence et les encouragements graveleux. Embrun commence à quitter la taverne, la changeante voudrait bien changer d'air aussi ! Elle tente de se dégager mais trop gringalette pour rivaliser avec la toute puissance d'un verrat en rut, elle peut juste gigoter comme une tanche hors de l'eau.

Heureusement, on ne devient pas Constance de Négativité sans apprendre deux trois trucs sur la survie. Première leçon quand on est une fille relativement bien balancée (en tout cas suffisamment pour devenir désirable auprès d'ivrognes) : frapper d'un coup net et précis, là où ça compte.

Bloquant son souffle, la grignette profite d'un sursaut d'Akham pour se repositionner et d'un mouvement brusque, lui envoie son genou dans les parties. Lorsqu'elle parvient enfin à se dégager, elle agrippe le bord du tabouret, puis celui de la table et se relève sans prendre pour le moment la peine de rajuster sa tenue.

- Pour information. (Elle reprend son souffle). Chuis pas une serveuse. (Elle tousse). Garde ça en tête pour la prochaine fois… et t'auras peut-être plus de chance.

Elle redresse la bretelle de son tablier sur son épaule et tire sur les pans de sa tunique pour couvrir le minimum requis. Là-dessus elle lâche une poignée de fers sur la table bancale et va pour rattraper Embrun avant qu'elle ne sorte.

Et puis dehors, à peine trouve t-elle la radée cinglante du port, l'atmosphère froide et le couvert nocturne qu'elle fait la moue. Elle siffle entre ses dents serrées, son visage se ferme. Elle tire une tronche épouvantable à peine une minute plus tard et commente simplement sa sortie par un "grmph" digne d'une gueule de bois. Voire pire, une gueule de rose hybride de thé par temps pluvieux.

[hrp, ça me convient parfaitement ^^. Navré pour le délai de ma réponse, j'ai eu un we festif et enchaîne sur mon boulot d'enfer qui me saborde mon temps libre :P]

Constance ne relève qu'à peine la tête à la remarque d'Embrun. Cheveux dans les yeux, tout juste un memeument désintéressé entre les lèvres pour attester qu'elle a compris les mots.

Elle vient de se faire presque trousser pour avoir partagé une bouteille détroussée avec un marin en manque de trousseau. Le cavalier de la situation ne la touche pas. Pas plus d'ailleurs que le fait que son "associée de voyage" soit présentement avachie sur les épaules d'un modèle cogneur dont le sourire évoque un accident dans un cimetière. Le dit "Ergue Or" qui la questionne maintenant avec un entrain débonnaire. C'est de bonne guerre, il quitte la chope et la copine pour une virée avec la capt' et l'hypnalisine, il est en droit d'attendre des contreparties.

Constance glisse deux pouces dans ses poches et laisse battre ses mains sur ses cuisses dégoulinantes de pluies. Elle prend une longue et profonde inspiration pour s'arracher de force plus de trois mots.

- Ben chais pas.

Puis elle se dit que c'est quand même une réponse un peu misérable. Mais elle y peut rien, il fait nuit, il fait froid… elle rêve d'un bon tas de sable chaud pour s'y lover.

Erg'Or. Encore un nom en "or". Et erg ? Comme le désert ? Sable d'or ? Sabredor ça y ressemble aussi. Alors il y a peut-être une parenté entre la monture musculeuse et sa cavalière amollie. Constance se pince l'arête du nez et grimace.

- Ah ça recommence !

Sans même réaliser qu'elle vient de parler à voix haute, elle tape du pied et fronce les sourcils pour se reconcentrer. Les idées en cascades, en pagaille, en ripaille ; un autre des problèmes de sa torpeur grandissante.

Elle pointe une ruelle d'un doigt décidé et assène sèchement :

- Si, c'est à gauche. Les Sept Soleils. Une enseigne pourrie qui grince au vent et représente ce mange-lisier d'absent ! (S'en suivent plusieurs jurons pirates assez colorés mais relativement démodés).

Elle parle du soleil bien sûr.

- Pardon… je m'énerve toute seule.

Négocier ? Constance acquiesce sobrement. Elle ne compte pas vraiment faire dans la dentelle pour une fois. Débouler dans la boutique des Sept Soleils, planter un index dans la poitrine du gras tenancier et lui postillonner des exigences changesques à la figure en menaçant de représailles dantesques, à poils, à cornes, à écailles, tout ça mélangé.

Mais voilà qu'en posant le pied sur l'un des pavés supplémentaires qui doit les conduire à l'échope-entrepôt, une voix les hèle à distance. Constance continue. Elle s'en cogne ! Les ivrognes qui courent les rues en quête d'aventure prennent toujours les vessies pour des lanternes et les filles des rues pour des gagneuses.

Seulement voilà, cinq pas plus loin, elle se retrouve seule, un peu stupide et très contrariée. Elle enfonce les mains dans les poches profondes de son tablier de poissonnière et rebrousse chemin. Saleté de nuit. Pas même un gravier à butter de la pointe de sa bottine pour exprimer son désaccord.

Elle finit par raccrocher la discussion en cours. Elle s'arrête à côté de la capitaine et lève deux doigts de la main selon un ancien signe de rituel changeant : l'index et l'auriculaire dressés, les autres doigts étant repliés les uns sur les autres. Les cornes de Calutanar, un truc censé aussi chasser les démons, ou les faire venir… c'est selon. Bref, ça fait tout.

- Chuis la commanditaire, lâche la jeune hypnalisine d'un ton rogue qui du coup s'accorde assez bien avec celui de la rude Sabredor. Accessoirement, je dompte les queutards impatients à coup de genoux. (Elle esquisse un demi-sourire sardonique.) Et tout se monnaie ici.

Si la lune présentait un jour sa face cachée, elle serait sans doute aussi surprenante que la phase froide de Constance. Mais le petit détail étrange en cet instant pluvieux, ce n'est pas tellement que la jeune changeante tende la main pour recueillir un paiement quelconque (la bouteille ?), ce n'est pas non plus l'éclat terne de ses iris qui trahit sa faiblesse. Non, c'est plutôt l'orientation de son regard.

Elle ne regarde pas le sieur du "je-m'incruste-comme-un-dandy-enfariné". Elle fixe un point situé quelques centimètres à côté. Une créature brune, évaporée, volage et indéniablement non-humaine. Une sylphide ? Une nymphe ? Une fae-lumenesens ? Il faudrait qu'elle retourne plancher un peu sur l'île du changement pour revoir son bestiaire… et puis accessoirement, subir les travaux pratiques de l'Apex Sub-Zero. Un truc qui lui aurait été bien utile contre l'assaut vergeral d'Akham.

hrp:

hrp:

Constance reste interdite. Elle se fait rébarbative et Embrun n'a pas l'air folle enjouée par l'idée de l'engager lui et sa luciole et voilà que la grignette ailée répond qu'elle aime ça. Ah bon.
Un œil plissé de suspicion, la fille au tablier mouillé s'essuie la main sur la poitrine et la laisse retomber mollement le long de son flanc. Repliant un bras, elle s'attrape le coude et écarte légèrement les pieds, déhanchée dans cette posture de l'indécise dubitative. Pas de doute, ce type est allumé. Et sa nymphe de compagne a l'air aussi appréciable qu'une volée de bois vert dans les dents.

Tout ça contribue a les rendre l'un et l'autre intéressant seulement voilà, c'est bien gentil mais elle aimerait vraiment qu'ils viennent sur le Zephyr. Déjà qu'elle doit gérer le problème des humeurs chaudes de certains, alors si en plus ces deux là veulent venir, ça serait extra.
Il est vrai que Constance n'aime pas tellement qu'on la perturbe quand elle est fatiguée, alors forcément, elle devient moins intolérante. Moins farouche. Repliée dans sa tanière, elle n'a qu'une envie, c'est qu'on vienne lui proposer de la nouveauté, de l'étrangeté, qu'on bouscule un peu ses habitudes, qu'on…

L'hypnalisine ferme ses yeux gris d'un coup et prend une grande inspiration. Quelque chose ne tourne pas rond sous son crâne ! Elle se masse les tempes, et tâche de se concentrer : ces deux là sont indésirablement… adorables.

Non ce n'est pas vraiment bon. Et ce détraquage commence à lui filer le trac. Les filles ont toujours peur des dérèglements et la fille-serpentine à des raisons supplémentaires de les craindre ou de les aimer.

Bon, inspection. Constance jette un œil sur Embrun qui n'a pas l'air spécialement mal à l'aise. Si tant est qu'elle puisse juger de l'état d'une fille qu'elle ne connaît pas et qui était déjà passablement naze quand elle l'a rencontrée. Jusqu'ici tout va bien. Mais dès qu'elle regarde à nouveau le jeune gars bien fringué et sa voltigeuse acrobate, elle se met à respirer plus difficilement, hachée par un mal de tête qu'elle ne souhaiterait même pas à un marin gorgé de bière, tordu de contractions abdominales dans le caniveau. Pas possible ? Le vin ? Elle serre les dents.
Ils sont pourtant mignons tous les deux.

Non pas question ! Pas question de ne pas les emmener.

Allons bon.

Expérimentatrice jusqu'au bout de la langue, Constance ferme à nouveau les yeux et fait le vide. Il faut les dégager. Elle cligne des paupière, guinche la fée et vlan : la nausée. Cette fois Constance se prend carrément d'un hoquet. Dans son état, fatiguée, légèrement éméchée, transie dans le froid et la pluie, elle est extrêmement vulnérable. Et cette sensation malsaine qui rampe dans son cerveau sans même prendre la décence de s'enrober de tentacules froids lui fait remonter la bile dans la bouche.

Et maintenant qu'elle en prend conscience, ce tripotage mental devient encore plus insupportable. C'est la fée ! Là juste dans sa manière de… Constance tousse, les orbites écarquillés, elle porte une main à son toquant emballé en chamade. Avant même de réaliser que son genou droit racle déjà le pavé, elle tente d'articuler d'une voix rauque :

- Mais… vous êtes qui tous les deux… purée… ?

Et tombée à quatre pattes, elle vomit tout à leurs pieds. Faut pas croire qu'elle voit double mais peut-être qu'elle a vraiment trop bu pour voir des nymphettes se tortiller dans l'air. Ça serait bien la première fois. Mais ça fait partie du Changement que de subir des nouveautés tous les jours. Même si ça se fait sous forme de régurgitations acides.

Rien de grave ? Nan bah rien de grave à priori en effet. Disons que sur une échelle d'étrangeté de un à soixante trois, Constance a déjà connu des trucs qui frisent le quatre-vingt deux. Alors dégobiller dans le caniveau, ça n'a rien de très alarmant. Même si ça traumatise toujours un peu le transit.

- Ourhg… muh ? Nan.

Constance en est au stade où elle se relève péniblement sur les coudes quand elle se fait pratiquement déboîter l'épaule, tractée manu militari en position verticale. Elle flageole sur ses guibolles, oscille un peu d'avant en arrière et se fait tirer vers les Sept Soleils avant d'avoir pu articuler le mot "remugle".

Ça tourne encore un peu sous son crâne et ça ne s'arrange pas lorsqu'elle voit à nouveau la nymphette voleter cette fois autour d'Embrun. Elle fronce les sourcils. Il y a, oh, à peine une centaine d'explication à ce phénomène. Et plus de la moitié impliquent de l'alcool ou une autre forme de substance hallucinatoire. Pas de quoi fouetter un chat mais largement de quoi s'inquiéter pour la suite des opérations.

- J'veux pas dormir, qu'elle répond à la capitaine avec une conviction sur laquelle on pourrait même pas tordre un caramel mou. Et j'veux pas de couillons non plus.

Grognon, l'hypnalisine est quand même un tantinet inquiète quand elle se ménage une entrée dans le magasin, mi-poussant, mi-écroulée sur la porte. Si jamais elle se met à voir des lucioles partout, ça va pas aider à exiger sans transiger. C'est bien connu, quand on veut impressionner son interlocuteur, il vaut mieux éviter d'agiter la main pour chasser des mouches imaginaires.

Et puis une bouffée de chaleur la saisit aux joues. Un bon gros coussin d'air moelleux lui chatouille le visage, avive ses nerfs, redresse son minois malmené et fais éclore une belle fleur rouge sur ses joues cireuses. Le tenancier est un frileux ; une sacrée flambée crépite dans la cheminée. Un foyer ardent qui rayonne depuis un puits central circulaire et propage ses bienfaits dans toute la pièce. En fait, il y règne une chaleur infernale ! Au point que ça serre la poitrine. Trois fois trop de combustible, de la fumée, des cendres partout. Une motte de beurre ne tiendrait pas deux minutes. Un peu comme si quelqu'un avait voulu à tout prix trouver un sens au nom de l'échoppe avec une bonne volonté débordante d'un enthousiasme incontrôlable.

Constance s'étire comme au sortir d'un mauvais rêve. Elle tourne la tête rapidement, inspecte succinctement les lieux et ne découvre rien de très révélateur à part la bobine joufflue de l'entreposeur derrière un comptoir posé de guingois sur des caisses à bardage métallique. La pièce de réception de la clientèle est assez petite en fait. Mais à la double porte coulissante qui en constitue l'une des cloisons, on peut déduire que le reste du stockage s'étale largement dans les profondeurs du bâtiment. La jeune changeante approuve : il fait chaud, c'est cocon, c'est parfait. Autre fait notable : ce bon bougre de magasinier pionce comme un meunier.

Les bras croisés à côté d'une bougie mollissante, il ronfle, son gros pif planté dans le creux du coude. L'hypnalisine retourne un regard brillant à Embrun, cligne de l'œil et traverse vivement l'espace en se délectant des mouvements d'air tiède sur ses jambes. Elle trouve quand même moyen de se cogner à une caisse, s'arrache un bout de peau, un juron et vient claquer la paume sèchement sur la planche de chêne ridée qui sert de plateau.

- Debout là dedans ! Réquisition immédiate ! Y'a pas d'heure pour les changeurs ! Prends ce que t'as de mieux, multiplie par deux et donne nous tout ça sans moufter.

Elle veut jouer l'effet de surprise. Gaillarde dans l'esprit mais pas très assurée sur ses appuis la petite changeante. En fait elle tient à peine sur ses pattes et se retrouve avachie sur le comptoir avec son sourire imbécile en travers du visage et son regard mortellement sérieux. Avec ses cheveux détrempés, sa manière de dodeliner comme si elle était au bord du coma et son haleine de chacal… pas de doute que ça risque d'avoir du succès.

Partie du topic : Hergor et Samy

- Alors je veux ! … heu, je veux…

Tiens oui au fait, elle veut quoi ? Pas sûr qu'elle soit capable d'énumérer ce qu'il faut embarquer sur un navire pour un voyage sans ligne d'horizon clairement définie. Heureusement, Embrun arrive à la rescousse pour éviter à Constance de se manger le tapis. Verdict : de la bouffe et du rhum. C'était pourtant simple. Mais le gros ouvre des yeux ronds comme des billes et bée de la bouche sur le même schéma (mou et moite, ensuqué de sommeil).

- Qu-quoi ?

Certes, la capitaine est assez énergique dans sa fatigue pour donner une sale impression aux tripes. Certes, la jeune hypnalisine qui tambourine sur le comptoir est une sorte de "missionnaire" de l'Ordre du Changement (enfin, c'est ce qui passe le plus facilement dans la tête des gens). Mais ce n'est pas une raison pour saborder le petit commerce ! Les deux femmes n'ont pas l'air spécialement accompagnées. En tout cas, s'il y a des marchandises à acheter, elles ne sont pas là, sous ses yeux !

Autant de petits détails qui font que, malgré une bonne couche de couardise naturelle, le tenancier trouve assez de rapacité pour répliquer d'un ton vorace :

- Des vivres ? J'en ai ben peut-être un peu. Mais c'est pas donné du coup ! On a des problèmes. Et je ne fais pas dans la refourgue. Et puis… si c'est une saisie d' l'Ordre, bénit soit-il, (il tousse)… il me faut un ordre écrit… faites excuses Changeuse, c'est la procédure.

Il guinche alternativement Constance et Embrun, salivant d'engourdissement suite à son réveil un peu soudain. Sa langue est encore pâteuse, maladroite et amollit la plupart des syllabes. Encore un "dynamique". Ça joue en leur faveur.

Constance secoue vivement la tête et claque une nouvelle fois sa paume sur le bois patiné et graisseux. Il faut profiter de son envie très pressante de retourner dans le monde des rêves pour conclure à la va-vite sans qu'il cherche trop les détails.

- Nan non non ! Tu n'as pas compris adepte changeant ! Nous allons nous débarrasser de notre excédent ici et tu vas nous donner de quoi remplir nos cales. Ça c'est un fait. Si après tu parviens à vendre ce qu'on te laissera ici, on sera assez compréhensives pour ne pas te demander de commission. Ça c'est une compensation exceptionnelle accordée par le Changement en reconnaissance de ta fidélité et de tes prochaines offrandes.

Il faut y aller au culot. Mais bien franchement. Constance lève alors la paume droite et replie le pouce, le majeur et l'annulaire selon ce même signe qu'elle a effectué auparavant. Histoire d'enfoncer le clou.

- Tu veux vraiment que j'aille en référer à un Haut-Changeant pour qu'il vienne lui-même faire les courses ici ?

Et ça, c'est une menace. Mais elle n'a pas besoin de le dire pour que ce soit clair : personne, mais alors personne, n'a envie de voir un Pontife du Tentacule franchir le seuil de son magasin. On ne sait jamais ce qui va rester quand il repartira, ni sous quelle forme ce sera.

A la vue sifflante de la dague, le gros tenancier recule d'un bond et manque de déchoir de son tabouret branlant. Il tousse, rougit, pâlit, verdit, jaunit… et finit par expirer dans un gros son mouillé.

- Je…nhi…ghu ::

Il se mélange les syllabes à un point que ça fait peine à voir. Et Constance, de son côté, dont la peau commence à prendre une belle teinte rouge et met en valeur les marques blanches des tentacules sur ses bras, sourit d'un air potron-minet ; pas encore le grand soleil mais ses prémices.

- T'as entendu la patronne. On dispose d'abord, on dépose ensuite et surtout, tu ne poses pas de question. Simple ?

Pour réagir comme ça à la simple apparition d'une arme tranchante, il doit être encore plus douillet que sa bedaine pourtant déjà visiblement aussi moelleuse qu'un édredon. La Changeuse pouffe muettement à l'idée de ce qui pourrait se produire si Embrun avait tiré un sabre d'abordage, une rapière ou mieux encore…

Le gros transpire, il s'éponge le front d'un revers de manche et déglutit son acceptation amère de l'irrépressible. En gros (et ce n'est pas peu dire à son sujet), il capitule.

- Bo-bon, prenez ce que vous voulez… mais j'vous préviens, mes gars dorment à c't'heure ! Alors faudra vous coltiner les caisses vous-même.

Le sous-entendu bien sûr, c'est qu'il ne s'imagine pas Embrun et Constance se trimballer des victuailles avec leurs poids plume. Dans sa tête, sans doute, se fraie l'idée séduisante que ces deux allumées vont peut-être partir en emportant un peu de gniole pour finir la nuit et que demain… il pourra doubler, non tripler la présence de gaillards musculeux dans son dos pour l'épauler. Oh Changement oui !

Suivant plus ou moins ce raisonnement mais par une voie détournée (car changeante), l'hypnalisine se passe la langue sur les lèvres et se retourne contre le comptoir, coudes sur le plateau, une jambe relevée contre les caisses de soutien. Là aussi, les marques de son Initiation commencent à se voir plus distinctement.

- Et bien, je crois que ça posera pas de problème… hmmm, qu'est ce que t'en pense cap'taine Sadre-Line ? Doit pas y avoir bien lourd dans ce foutoir. Et le monsieur dit qu'on peut se servir.

Constance a volontairement cité un tout autre nom pour ne pas "mouiller" sa comparse. S'il y a une dénommée Sadre-Line dans les parages, sûr qu'elle récoltera les fruits de ce petit chambardement plus tard. Mais pour le moment, pendant qu'elle bulle, la jeune grignette en tablier fumant d'humidité aimerait bien rester là, à se prélasser pendant que les autres feraient des va-et-vient dans la boutique pour transbahuter le matériel. Le problème, c'est que ça implique de rester près du bonhomme… en fait, ça serait mieux s'il n'était pas là. Pas là… mmmmh.

- Par contre, tu peux retourner te coucher fidèle, je te ferai signe quand tu pourras te lever. Aller, aller ! Laisse les clés sur la table et on fera notre affaire.

Et voilà, le gros s'esbigne comme une musaraigne menacée en laissant derrière lui une curieuse odeur rance. Mais une musaraigne obèse, le genre qui dégobille si on lui marche dessus.
Constance sourit de contentement, les lèvres pleines, les yeux mi-clos. Parfait. Et puis voilà que l'instant béni d'une torpeur douce au coin du feu se fait botter le train par la rugosité de la langue de la fille des mers.

Et chancre de la mornitude… pour ne pas dire quelque chose de plus coloré. L'hypnalisine fait une tête récalcitrante mais elle est assez éveillée pour piger qu'il ne faut pas contredire une donzelle à bouts de nerfs qui commence déjà à montrer la dague quand ça ne lui plaît pas. Détail plaisant d'ailleurs, sauf quand l'aiguillon pourrait se retourner contre elle.

Avec un léger soupir, tant pour la forme que pour le fond du bocal, elle se résigne à aller fourrager dans le fond du local. Elle commence par se baisser pour ramasser le trousseau métallique d'une façon assez provocante pour marbrer un homme normalement constitué. Mais heureusement (?), pour le moment, il n'y a aucun spécimen de ce genre en vue.

Elle se redresse, lisse ses vêtements encore lourds de pluie et engage la première clé dans la grosse serrure de l'arrière-boutique. Quelques cliquetis, deux jurons et trois essais plus tard, elle pousse enfin la lourde porte coulissante sur ses rails rouillés et s'ouvre la voie dans les entrailles obscures et froides de la baraque.

- Rah, poisse…

Aller-retour à petits pas rapides sur le plancher grinçant. Elle attrape une lampe tempête, l'allume avec un tison et revient se poster devant la bouche noire, le lumignon pendu au bout de son bras maigrelet. Elle reste sur le seuil un moment, laisse ses yeux s'accoutumer à la pénombre. Elle inspecte, elle hoche la tête et subitement, d'un pas vif, s'engage là dedans sans mot dire. Hé, finalement, elle file droit ! Mais si Constance consent à délaisser sa chaleur bien aimée pour cette pénombre angoissante, c'est qu'elle a une bonne raison.

Et en général, dans sa tête mutante, les raisons riment avec expérimentations. Elle passe un certain temps là bas dedans, et on peut l'entendre déplacer des objets. Des sacs traînés sur le sol, un objet métallique tombe au sol, un grincement de chaîne et quelques mots susurrés dans les ombres.

- Décharge de Négativité…

Quelques instants plus tard, la jeune changeante revient dans la boutique en tirant laborieusement un chariot chargé de caisses plates à fermoir métallique. Au sommet de la pile, trône un gros sac de blé. Enfin… c'était du blé avant qu'elle y touche. En théorie, son pouvoir de mutation n'affecte que les végétaux mais elle n'a jamais encore essayé sur des graines inertes. Peut-être que ce grain affecté par le changement donnera un nouveau type de pain ! Elle a hâte de voir ça. Et sur une traversée longue durée, elle pourrait même examiner les premiers effets !

- J'ai dégotté de quoi embarquer des provisions… mais ça pèse lourd purée ! Et j'ai du blé pour faire de la matière première.

Constance sourit d'un air absent. Et quand elle sourit, c'est tout autre chose à présent. Comme quoi, il faut peu de choses pour altérer un visage : un autre détail a changé sur la tête de l'hypnalisine. Elle porte à présent un bonnet en coton d'un bleu relativement sombre. Le genre léger, qui ne protège pas vraiment du froid mais donne un style particulier… le style marin sans doute, ou bien clocharde. En tout cas, elle a l'air de s'en être entiché. Maintenant, elle le redresse d'un coup de pouce sur le front et fait un nouveau tour d'horizon :

- Les gars qui vont venir... y'aura cet espèce de type là qu'on a vu sur le port ?

D'y reprenser, elle se prend d'un frisson gluant. Y'a quelque chose dans ce gars qu'elle accroche pas. Sans doute le fait qu'il lui en a fait voir des lucioles et que maintenant qu'il n'est plus là, sa tête semble marcher à nouveau correctement. Mais d'un autre côté, c'était dehors... et dehors, ça caille, alors forcément, tout dégénère.

Remplis les caisses, remplis les caisses… c'est pas qu'elle veut en faire des caisses justement, mais gringalette comme elle est, Constance aimerait bien faire valoir un peu de cette sacro-sainte galanterie qui postule qu'un mâle enfiévré par les courbes envoûtantes d'une fille va se coltiner tout le boulot à sa place.

Seulement voilà, Embrun est également une fille. Et pas des plus coulante, même si elle crèche sur l'eau. Donc en résumé : oui ma fille, tu vas te taper le boulot. Monter sur un navire ça implique de ce fondre dans l'équipage. Constance sait trop bien que tout le monde met la main à la pâte sur mer.

Alors pendant que la capitaine s'enfonce dans l'arrière boutique, elle s'applique à faire rentrer des trucs et des bidules comestibles dans les caisses qu'elle a ramené. Lourd, pesant, encombrant, tout ce qu'on veut. Elle commence par tenter de glisser des bocaux dans les boites, puis d'ajouter des sachets, des pots des…

- AAAaïe !!! Taïe Taïe Taïe Taïe Taïe Taïe Taïe Taïe !!

Vlan, au moment où elle tente de transvaser une des caisses sur le côté pour faire de la place, elle se laisse surprendre par le poids. La poignée lui échappe, égratignant la pulpe de ses doigts, elle se râpe l'avant bras contre l'angle de la caisse et évite de justesse de se faire broyer le pied.
Elle serre les dents, des larmes dans les yeux.

- Gnnnnniiiiih… Chiottes pourries ! Pourquoi faut-il que des petites écorchures bénignes fassent aussi mal ?!

Un filet de sang coule le long de son bras, s'enroule autour de son poignet de dégoutte au bout de ses doigts. Ce sang si froid, ce sang si épais qui s'étale, s'étend sur les dalles en petits flaques prêtes à coaguler.

Et au moment où la petite grignette est là, à se poisser la main pour comprimer cette éraflure, voilà qu'Embrun refait surface à la tête d'une cargaison de rhum et que de l'autre côté, une partie de l'équipage du Zéphyr fait une entrée fracassante (probablement une marque de fabrique).

Et allez ! Venez tous au spectacle de la mauviette qui sait même pas remplir une caisse sans se tarter une plaie. L'hypnalisine siffle, la langue entre les lèvres, et se recule pour lécher sa blessure d'un air boudeur.
Les matelots du Zéphyr s'activent en un rien de temps avec cette efficacité propre à ceux qui ont l'habitude de travailler sur un pont glissant et instable. A croire qu'ils attendaient juste qu'elle se fasse mal pour apparaître et lui montrer ce que c'est que d'avoir des biceps.

Constance ne sait pas trop quoi faire. Un coup d'œil vers Embrun l'informe que la capitaine vient de larguer les amarres. Avachie dans un coin, le menton rentré dans la poitrine, la bouche molle. Une bonne idée somme toute mais dans son cas, elle a trop mal au bras pour se mettre à pioncer au milieu de cette activité.

Quelques minutes trépidantes plus tard, alors qu'elle se réchauffe les omoplates au coin du brasier et continue de serrer des tampons de tissus entre ses doigts, un des marins (barbu, costaud, gueulard, c'est le modèle courant) donne le signal du départ.
On réveille Embrun qui sursaute, on ouvre grand les portes, on dégage. Constance elle, ouvre grands les yeux devant cet assaut de la nuit orageuse dans son petit cocon de chaleur. Elle grimace mais bien décidée à ne pas rester à la traîne, s'empresse de trottiner derrière l'équipage pour rejoindre à son tour le bâtiment chahuté sur le quai.