Où les ombres luisent [Willi]

Les branches vides des arbres laissaient passer un vent de l'est aux sonorités peu communes, oubliant ses habituels fantômes sifflant pour laisser la place à des notes. Des notes ? Oui, c'était bien cela. Point d'animal hurlant sa présence à ses comparses, on était là en présence d'un humanoïde. Villi tâta ses sacs et pochettes à la recherche de son tissu. Le toucher rugueux, épais et tissé lui indiqua qu'il se trouvaient en dessous d'une poignée de baies séchées. Elle le sortit, en envoyant balader quelques fruits, le plaça tant bien que mal sur ses yeux morts, saisi son bâton puis se mit doucement en route.

L'hiver avait cela de terrible que la végétation lui devenait invisible, et donc dangereuse. Les arbres, recroquevillés dans leur sommeil, ne laissaient paraitre qu'un léger rais de vie. Pas assez en somme pour éviter de s'assommer sur leur écorce, d'autant plus que la jeune femme n'aimait pas vraiment faire tourner du bâton devant ses pas. Les feuilles mortes, glissantes, cachaient des nœuds de racines et des cadavres de branches. Le chemin promettait d'être long et tortueux.

Toute ouïe pour ne pas perdre la piste, des mots commencèrent à se former dans l'air, légers et fluides comme la brise. Le chant semblait agréable, ça changeait de ceux des loups. Au fil de sa progression, un amas bleuté, prenant de plus en plus d'ampleur au fil des pas, était apparu au milieu des filaments d'arbres. La clarté avait désormais une dimension correcte, elle devait être très proches. Villi craignit soudain qu'il s'agisse d'un chasseur humain s'étant arrêté sur une souche pour trouver un peu de repos. La prise sur sa branche se fit plus ferme. Mais, en s'approchant d'avantage, elle se rendit compte que les appendices collés à la tête de l'inconnu étaient pointus.
Les bras croisés devant la poitrine, Villi s'arrêta à quelque pas, pensait-elle, du visiteur. Elle bomba le torse et se tint droite comme un épis de blé avant de s'adresser à lui de sa voix grave.

- Salutations elfe. Il n'est pas habituel de croiser des membres de ton peuple dans cette forêt. Que fais-tu ici ?

En voilà un individu qui s'exprimait drôlement. Villi ne comprenait pas bien le sens de ces paroles chantées, mais le fait qu'elle fut une proie la fit réagir. D'instinct, à la manière d'une bête, elle fit un pas en arrière, abaissa le buste et montra les dents en grognant. Elle raffermit la prise de son bâton et le tint à la verticale, prête à frapper.

- Ces bois ne sont pas à moi, mais il est certain que pour autant que je ne suis pas un gibier. Si tu t'attendais à trouver une proie facile te voilà mal tombé.

Villi sentit sa cape de peau et de fourrure lui glisser doucement du dos, mais l'heure n'était pas à ce genre de détails. Elle était certaine que l'elfe arborait un grand sourire derrière son masque lumineux, ce qui l'agaça quelque peu. Cependant, la neige rendant le terrain glissant, le plus petit affrontement lui serait défavorable, voir même dangereux. Quoi de plus ridicule que d'être vaincue à cause d'une cheville brisée dans une chute ?

L'individu ne semblait pas témoigner d'agressivité, ou bien il était de coutume chez les elfes que le chant soit une arme tranchante, auquel cas cela n'avait pas beaucoup d'effet physique. Alors qu'elle se demandait s'il fallait fuir ou rester, les mots de l'elfe se mirent à voltiger dans sa tête.
L' Aveugle meurt en hiver comme les arbres de son rêve,
Et le proverbe Buggin prend son sens en ta sève,
Tout s'évade dans un monde qui en silence s'effondre,
Refusera-tu aux hommes le début de ton ombre ?

Tournés, retournés, décortiqués, analysés... Il lui sembla trouver un vague sens à ce charabia. Était-elle d'une quelconque utilité ? Avait-elle de l'importance ? Et puis, comment cet elfe était-il au courant de son existence ? Certes, on parlait d'elle après son passage dans certains villages, mais ceux-ci se faisaient trop rares pour être colportés d'avantage.
Le froid commençait à lui grignoter les épaules. Elle tâtonna pour reprendre sa fourrure, s'en couvrit et se décida à se redresser tout en conservant une attitude défensive.

- Tu devrais savoir que les fantômes n'ont pas d'ombre. Néanmoins je veux bien t'écouter, mais à quelques conditions. Dis-moi qui tu es, qui t'envoies et éclaire-moi donc sur tes rimes, nous verrons ce qu'il en est ensuite

Puisqu'apparemment il la connaissait, autant jouer carte sur table de suite.

Crainte... Ce mot ne disait rien à Villi, ou en tout cas elle n'avait jamais cherché sa rencontre. Elle n'était pas accompagnée de cette sensation durant son vagabondage, et n'avait jamais vraiment imaginé l'évoquer chez qui que ce soit.
En même temps, les réactions des civilisations à son égard lui revinrent en mémoire. Les réactions brusques, cris et finalement chasse, tout ceci pouvait etre du à ça. Voilà qui ne l'enchantait guère. Pour la sauvageonne, la crainte, peur et tout autres sensations désagréables du genre forçaient à la stagnation. L'esprit, trop faible face à ces attaques, préférait se recroqueviller dans ses retranchements de préjugés plutôt que de risquer la bataille.

Cela faisait longtemps qu'un choix ne s'était présenté, et celui-ci était assez simple : mouvement vers l'inconnu ou enracinement. Villi écarta rapidement sa raison pour rester dans ses dernières habitudes. L'inconnu ne devait pas être si différent que ce qu'elle voyait chaque jour : rien.

- Très bien l'ami. Tu ne dévoiles rien mais je doute que tu ais fait toute ce chemin pour rien ou que tu me laisses partir sans rien dire. J'accepte de te suivre et de sentir ce dont tu parles. Cependant, je doute etre la personne que tu cherches, et je doute encore plus avoir la moindre utilité du coté des humains. Ils sont trop bornés pour accepter de se séparer de leurs connaissances intrinsèques pour s'ouvrir aux nouveautés du monde