La chasse

Du haut du mat, je regarde les vagues se jeter à l'asseau de la longue et robuste coque du Thul Galvondir. L'écume se teinte à son contact avant de se perdre à nouveau dans les profondeurs marines. Je ne me suis jamais lassée de ce spectacle, même après toute une vie à l'observer. Selon les navires, le phénomène n'est jamais exactement le même. Il y a comme une pulsation propre à chaque bâtiment. Celle du Thul est lente, ancienne, sage et d'une puissance incroyable alors que le Zéphyr faisait claquer les vagues avec irrégularité dans une joie sauvage. Le Thul, lui, se laissait patiemment porter comme un gros poisson ensommeillé, sauf quand Zaukon prenait la barre. Alors ils se faufilait entre les courants à une allure que sa masse aurait du l'empêcher d'atteindre. De tous, je préfère le Zéphyr et son impétuosité, mais depuis quelques semaines, je me suis aperçu que la magie du Thul avait quelque chose de contagieux.

- Va prend' ton quart, j'reste dans l'nid d'pie. Tu d'vrais dormir d'puis une heure d'jà. Ça sert à rien d't'exciter, on est encore loin.

Je lance un regard las au gnome qui me parle depuis un bon quart d'heure. Il faudra bien qu'il aille se coucher un jour. Ces créatures dorment, je crois... Quoique pour ces trois là, je n'en suis pas certaine. Sans trop lui prêter attention et espérant que le silence ne tarderait pas trop à revenir, je ramène mes yeux vers l'océan. Je les aime bien, ces joyeux compagnons, mais pour le moment j'ai surtout envie de solitude. Je ne compte pas sur lui pour le comprendre, j'espère seulement qu'il se lassera de mes vagues réponses monosyllabiques.

Quelques vagues plus téméraire font danser le mat et une bourrasque tente de m'arracher à mon perchoir. Je suis assise, jambes pendantes dans le vide, avec pour seule prise une main négligemment posée sur le bord du nid de pie. Mon pied trouve rapidement une prise sur un cordage pour m'empêcher de basculer dans le vide. Un mouvement naturel, tout comme l’oscillation de mon corps qui suit les chaos du navire. Je pense à la magie. Je commence à m'y habituer, peut être même à l'aimer. J'ai découvert que les sorcière ne font pas que lancer des malédictions et faire des potions qui transforment les pieds en plomb pour noyer les marins, loin de là. Ce qu'Asiaric appelle des runes fait aussi partie de la sorcellerie. Je ne pensais pas me mettre un jour à aimer l'art, mais il faut dire que composer un dessin avec des cordages emmêlés et quelques algues à la dérive est bien plus amusant que de s'enfermer au fin fond d'une cave, entouré de livres et de tracer des formes sans sens avec une plume trop fragile et une encre qui tache. Et, quand elles sont liées à la magie, les formes ont bien plus de sens. Peut être que le travail banale d'un marin recèle une certaine forme de magie.

Est-ce que je suis faite pour cette vie ? Je n'ai pas encore décidé si j'allais rester ou non. D'un coté, je sens que bien des choses ont changé, d'un autre, je regrette ma vie simple de pirate avant l'apprentissage de la magie. J'ai du apprendre à lire plus vite, à écrire, passer des heures concentrée sur une tache qui ne s'effectue pas en pleine air. Avant, je ne me posais pas autant de questions et je n'essayais pas de contrôler quoi que ce soit. Quand je pense que Zaukon disait qu'être pirate signifiait être libre... Il a peut être raison pour le plupart, mais pas pour les pirates magiciens. Apprendre est une activité très contraignante. Seulement, après avoir vu ce que pouvait faire la magie, j'ai bien envie de m'en servir pour mettre une raclée à certains.

Je me demande si Asiaric est un bon maître pour moi. Il est très patient et je ne crois pas que je pourrais apprendre les runes avec quelqu'un d'autre, mais pour le coté violent de la sorcellerie, je crois que je ferais mieux de chercher quelqu'un d'autre. Déjà, il ne veux toujours pas que j'aille défier l'autre gamin, soit disant parce que je ne suis pas prête, mais il ne comprend pas que ce genre d'entrainement me serait bien plus profitable que deux longues heures à lancer de traits d'énergie contre lui sans la moindre chance de le toucher. Le fort d'un pirate est d'improviser selon la situation, et là, je ne peux qu'apprendre des leçons. Parfois, je trouve les cours presque aussi ennuyeux que quand j’apprenais vaguement à lire, il y a pas mal d'années.

Le soleil baisse et une fine frange se dessine à l'horizon, me tirant de mes réflexions. L'ombre brune s'élargie très lentement sous la ligne séparant le ciel rougeoyant et ma mer, je suis maintenant sûre que ce n'est pas une illusion. Nous arrivons, et selon la capitaine, nous allons pouvoir nous battre contre les Pjeids qui se terrent là bas. Enfin ! Pour la première fois, la terre m’apparaît comme une promesse de vacances.

- TERRE À L'HORIZON !

Penchée dans une position hautement instable par dessus le nid de pie, je regarde les matelots sortir de leur torpeur. Puis, d'un brusque coup de rein, je passe par dessus bord et me laisse glisser à toute vitesse vers le pont.

Spoiler:

L'apprentissage de la magie est quelque chose de long. Qui demande de la rigueur et une certaines forme de passion, de rage de vivre. Bien heureusement pour Embrun, elle disposait de deux de ses trois éléments en la nature du temps que prendrait le voyage du port d'Athéïle au port d'Azur et une niaque certaines au contraire de la rigueur, au grands désespoir de Asiaric. En effet, le magicien était d'avantage un érudit qu'un aventurier ce qui était l'exact opposé de Embrun et parfois lors de leurs dernières leçons, il lui avait fallût puiser dans toute la sagesse qu'il avait pût accumuler durant son existence et la patience qui le caractérisait, jusqu'à le rendre parfois passif face par exemple à son rival Nomag. Il montrait cependant une plus grande autorité lors de ses leçons avec Embrun, sachant pertinemment que la magie s'apprend avec de la discipline et que celle-ci, on ne l'acquiert qu'en y étant confronté. Et il avait eût tout le temps nécessaire pour confronté Embrun à la magie et la discipline qu'il essayait de lui inculquer. En effet, le trajet habituelle entre La République Athe et le Royaume Démérien mettait environs une dizaine de jours habituellement. Cependant, après l'étrange rencontre avec le mage repêché et l'équipage de Tharan Thréduil et Ar'Maral Trydeon respectivement Mage Royal et Chef des Elfes sauvages, le Thul avait dû affronter de nombreux vents contraires qui faisaient froncer les sourcils à de nombreux membres d'équipages, Asiaric en premier et laissant une Delyndra encore plus inconsolable qu'à l'accoutumée, hanter le pont.

Pendant ce voyage qui dura finalement près d'une quinzaine de jours, Asiaric aurait pût enseigner quelques runes basiques à Embrun parmi lesquelles un cercle capable d'émettre de la lumière plus ou moins longtemps ou de façon plus ou moins intense selon les motifs que l'on y plaçait, un second cercle dans lequel se trouvait un triangle équilatéral qui permettait de changer la couleur d'une surface approximativement équivalente à la puissance que l'on imprimait dans la rune. Ainsi, en dessinant la rune sur sa toge, Asiaric avait pût la rendre à loisir verte, blanche, bleue ou jaune. Il y en avait quelques autres mais ces deux premières seraient certainement celles que la jeune fille maîtriserait le mieux grâce à la simplicité de leurs conception et de leurs fonction bien que comme le professeur l'ait dit un jour :

"La rune la plus simple peut s'avérer d'une efficacité foudroyante si utilisée à bon escient".

Mais à présent, la terre était en vue et le Thul se dirigeait vers elle avait un rythme tranquille imprimée dans sa coque par les marins de garde. L'équipage s'active rapidement pour modifier le cap du navire de façon subtile tandis que la marée change avec la venue dans le ciel de Delvïss et Keldaïn. A l'horizon se dessine le continent Démérien mais ce dernier se trouve malgré tout à plusieurs heures de trajet encore. Le Thul Galvondir était un navire pirate et son équipage était composé de magiciens arcaniques. Il ne pouvait se permettre d'arriver en plein port d'Azur comme si de rien n'était. Sur le pont, Embrun retrouvait le gnome qui venait de la quitter, à savoir Dixi, ainsi que ses deux frères qui ne se trouvaient de toute manière jamais très loin, mais aussi Ariech et la jeune fille qui était son amie, Lynia. La demoiselle en question était une jeune fille de hù-béï et le nom qu'elle portait n'était très probablement pas son véritable nom mais personne ne s'en souciait vraiment. Elle était plus âgée que Embrun de cinq années mais en paraissait sept de moins avec ses hautes-pommettes, sa belle peau mat, ses yeux noirs brillants et ses cheveux d'un jais scintillant. D'un caractère joyeux mais capable de modération contrairement aux gnomes, elle ne s'entendait pas moins bien avec eux et le timide Ariech sans avoir pour autant eût l'occasion de réellement faire connaissance avec Embrun.

Cependant, lorsque cette dernière arriva sur le pont, Lynia lui lança un sourire qui aurait pût passer pour charmeur si il ne s'agissait pas d'une jeune femme et déclara :

- Terre ? Tu sais ce que ça veut dire Embrun ?

- Faut bien ravitailler l'rafiot. J'aime pas la terre, mais les marchants i's sont utiles des fois.

Je lance mon explication avant de remarquer que cette fille est en fait en train de se moquer de moi. Mais pas en me provoquant, juste pour s'amuser. Si j'avais eu à faire à un homme, je l'aurai tout de même de suite remis à sa place, mais des femmes, je n'ai vraiment pas l'habitude d'en côtoyer sur des navires. À mon tour de me sentir gênée... Je ne rougis pas ni rien d'aussi flagrant, je ne sais simplement pas vraiment comment réagir. Je ne l'ai vu que de loin et je ne connais même pas ses capacités maritimes. Dois-je la considérer comme une compagne d'équipage ou comme une apprentie mage de cette école flottante ? Écartant cette question d'un haussement d'épaules, je soutiens son regard sans la trace d'un sourire. Je n'ai pas l'intention de me laisser marcher sur les pieds, même si je doute que ce soit ce qu'elle ai chercher à faire. J'ai trop l'habitude de réagir au quart de tour pour prendre sa moquerie avec humour.

- J'sais pas c'que t'as appris d'moi, mais va pas t'imaginer m'connaitre. T'es Lynia j'suppose ? Ariech avait parler d'toi.

Ayant vu des hommes de tous horizons, je constate sans mal qu'elle vient d'hù-béï ou du moins, qu'elle y a des ancêtres. Ce genre de détails n'a pas grande importance sur un navire pirate. Nous sommes tous avant tout du Thul, sauf pour ceux qui se considèrent avant tout magiciens. Je ne m'attarde pas trop sur elle, préférant m'intéresser aux préparatifs du débarquement. Nous sommes encore loin, mais pour des pirates, il n'est jamais trop tôt pour se préparer à l'approche d'une côte. Les ports ne sont pas tous accueillant. En plus, avec la récente guerre civile, les réactions des habitants sont difficilement prévisibles.

Il y a vraiment trop de monde sur ce pont. Tant que même quand les manœuvres se complexifient, on peut sans mal se passer de la moitié de l'équipage. Seulement, je n'aime pas être de ceux qui attendent paisiblement que la terre se rapproche, laissant le travaille aux autres. Abandonnant Lynia sur le pont avant même d'être sûre qu'il s'agit bien d'elle, je remonte au mat avec les ordres cette fois ci. Remonter légèrement la grand voile à cause du vent de face et rattacher une corde défaite tout là haut... Pas grand chose, des broutilles, mais sur ce navire j'ai bien l'impression de ne jamais rien faire d'important pour la manœuvre. J'ai beau me dire que l'équipage si nombreux du Thul est destiné au combat, je ne reconnais pas ici la piraterie telle que je l'ai connu durant mon enfance.

Une fois qu'il n'y a plus rien à faire, je remonte dans le nid de pie et regarde la terre approcher. Le pavillon noir reste sagement plier à coté de moi, pour le moment, mais il pourra bientôt s'ouvrir. Du moins j'espère car l'attente me rend l'humeur maussade.

Embrun était remontée dans le mât. Il était visible qu'elle ne connaissait pas bien la jeune femme de Suménïa. L'amie de Ariech qui avait ostensiblement rougit lorsque Embrun avait cité son nom. Mais toujours est-il que une fois arrivée dans le nid de pie, il ne serait pas difficile d'entendre et de voir quelqu'un aux longs cheveux noirs soyeux se hisser avec agilité sur le mât pour se retrouver à la même hauteur que Embrun. La jeune fille réponds par un sourire à l'aspect pour le moins mordant de la personnalité de la jeune pirate. Un beau sourire fin approuver par ses yeux bridés pétillants de joie. La joie de vivre avec un brin de folie. Pas une folie sanglante ou une folie qui pousse aux actions incompréhensible mais plutôt la folie de sauter d'un mât pour se saisir d'une corde en plein vide et atterrir en riant dans la grande voile. Plutôt qu'une folie s'était une insouciance infantile. Peut-être était-ce cela aussi qui contribuait au fait que Lynia paraissait plus jeune que Ariech et Embrun alors qu'elle était plus âgée de plusieurs années.

- C'est comme ça que j'aime les nouvelles. A la fois innocentes et pleines de hargnes. Déclare Lynia avec un sourire qui n'attends que le rire. "La terre ça veut dire qu'on va cogner sur quelque chose Embrun. On est un navire pirate, pas un petit et surtout pas un discret." Remarque qui s'accompagne d'un rire, comme amusée de l'idée que le grand navire couleur de l'ivoire rentre dans le port d'Azur.

La jeune femme se déplace rapidement sur le mât de ses pieds nues, parfaitement à l'aise malgré le mouvements des vagues qui se répercute jusqu'ici. Un équilibre digne d'un numéro de funambule ou d'un marin de grande expérience. Elle s'appuie sur le nid de pie, une main soutenant sa tête tandis qu'elle regarde Embrun.

- Tu sais, quand je t'ai vu te battre avec Kylde, je me suis dit que c'était impressionnant pour une fille de marin que tu acceptes si facilement tes pouvoirs. Il m'a fallut des années pour bien vouloir de ce curieux invité dont je ne voulais pas.

Une courte pause fût marquée. Juste assez longue pour qu'elle se remarque, juste assez courte pour que Embrun ne puisse répondre de quelque manière que ce soit. Un instant l'étincelle de joie s'est couverte. Pas éteinte mais elle avait perdu en intensité avant de revenir tandis que un index et un majeur grimpeurs montaient sur la main de Embrun et remontaient le long de son bras nu.

- Tu penses qu'on va tomber sur des Pjeyhs ? J'espère, j'aimerais bien voir ce que ça donne d'affronter d'autres équipages magiques. Pas toi ? Demanda Lynia presque distraitement.

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